dimanche 10 mars 2013

INTRODUCTION

Texte intégral Introduction 1. I. Partie théorique A. Sensoriété sonore et fondement psychique 22L’entendu, comme le vu est l’un des modes primordiaux d’entrée en relation avec l’objet primaire et il est au fondement même des expériences sensorielles les plus précoces. L’enfant entend et écoute la voix de la mère, avant même d’être né. Entendre comme voir est ou pourrait être parmi les premières empreintes comme l’éthologie nous l’a bien montré, les premières impressions au sens de ce qui s’imprime dans la psyché sous forme de trace mnésique. 1. La musique qui est dans maman – témoignage de Stéphane 23M.-C BUSNEL et F. MOREL (1993) présentent, dans leur ouvrage intitulé, Le langage des bébés, bon nombre de témoignages et de coutumes qui se recoupent, mettant ainsi l’accent sur l’importance des connaissances intuitives et les savoirs ancestraux rarement entendus. Ces témoignages nous montrent bien le monde relationnel du fœtus et du nouveau-né dans son environnement. L’exemple d’un étonnant témoignage de Stéphane, « La musique qui est dans maman » souvenir d’une maman (pp. 342-343 de ce livre) illustre bien l’hypothèse de l’empreinte de la communication sonore primaire dans la psyché sous forme de trace mnésique: « Quand j’attendais Stéphane, nous ne possédions pas encore beaucoup de disques ni de cassettes, de sorte que j’écoutais souvent la même musique (et même très souvent, puisque je passais ma grossesse couchée) [...] Un jour, Stéphane avait alors aux alentours de deux ans et demi, j’avais mis la cassette d’« Etat de siège », que je n’avais pas écoutée depuis assez longtemps. Et Stéphane de dire « ça, c’est la musique de maman ». Je rectifie : « Moi, je ne fais pas de musique, tu sais. C’est un monsieur qui s’appelle Théodorakis qui a écrit celle-là ». Mais il insiste : « Si, si ! Non, maman n’a pas fait, non. C’est la musique qui est dans maman » – « Dans maman ? Comment ça ? » – « Oui, dedans, à l’intérieur ». Il avait l’air de trouver la chose tout évidente, et je ne suis pas parvenue à en tirer autre chose. Alors, une réminiscence de sa vie intra-utérine ? J’y crois, moi ! À l’âge de cette anecdote il s’exprimait déjà de façon bien avancée. S’il disait « à l’intérieur », il ne voulait pas dire autre chose. La mère de Stéphane ajoute : « Je n’avais pas écouté cette musique depuis qu’il était bébé, pour la bonne raison que la cassette était cassée et que nous ne l’avons rachetée que vers ses deux ans et demi, justement ». 2. Groupe vocal familial 24Entendre pourrait être ainsi les premières impressions qui s’inscrivent dans la trame mnésique psychique, mais aussi pourrait transmettre ce qui est de l’ordre d’une ambiance affective accompagnatrice d’un climat relationnel, dont le sujet ne garde parfois aucun souvenir conscient, mais qui se perpétue en lui dans son inconscient; cela pourrait souvent avoir des caractères traumatiques. Dans ce sens, la résonance psychologique produite chez le sujet par le fait d’entendre et ses expériences sonores occupent au premier plan l’espace psychique du sujet et ces expériences fondamentales lui influenceraient largement la relation à l’autrui et au monde. 25L’enfant naît dans un groupe familial, le premier emboîtement groupal au sein duquel son fondement psychique se construit. Son premier environnement sonore est également imprégné dans sa dimension groupale qui est appelé, le « groupe vocal familial » (Lecourt 1994) comme un premier organisateur des échanges sonores. Ce « groupe vocal familial », un bain sonore pour l’enfant (Lecourt 1994) est en soi un ancrage culturel. B. Culture et spécificité de la structure psychologique japonaise 26Chaque culture se propose, au moyen de mécanismes variés, d’organiser le mode de pensée, le mode relationnel et la manière d’être. Il y a là des rapports dynamiques entre psychisme et culture. Les deux concepts sont inséparables l’un de l’autre : ils se construisent, se génèrent en interactions, s’étayant de manière réciproque. Ainsi l’individu organise son psychisme en s’enracinant dans la manière dont les rapports sociaux sont structurés. De ce point de vue, la culture nipponne ne fait pas exception : elle influence largement le mode relationnel qui prend la coloration particulière, notamment le besoin de conformité au groupe, la référence constante à autrui et l’attention portée à l’autre. 1. Notion d’amae, type de relation fondée sur la dépendance 27Concept d’amae Le mot amae est un substantif dérivé du verbe amaeru, dont le sens est « dépendre, attendre un traitement favorable d’autrui » et leur racine « amai » signifie sucré, ce qui renvoie au langage infantile universel pour nommer la mère, la mamelle et le produit de la mamelle. 28Japonais, le Dr Doi, clinicien et médecin thérapeute, entraîné au maniement des sciences humaines de l’Occident a été sensibilisé par la différence entre ces deux cultures : écart de façon de pensée, de sensibilité, qu’il observait dès qu’il abordait les problèmes interpersonnels ou l’analyse de la subjectivité de ses patients. Dans son ouvrage, intitulé,Le jeu de l’indulgence (amae no kozo), il a tenté une approche psychologique des modes de comportement japonais à partir d’une étude philologique de certaines expressions singulières nippones telle que amae. 29Ce que Doi met en valeur, c’est l’importance du type de relation fondée sur la dépendance affective et sur l’expectation d’indulgence, qui est la conséquence directe de cette dépendance. C’est ce concept double de dépendance et d’attente de l’indulgence qui donne le sens au mot amae. En fait, le modèle de amae est la relation mère-enfant. C’est un modèle dont on pourrait dire qu’il est transfusionnel affectif. Ce modèle de base, structure la relation mari-épouse, maître-disciple, médecin-malade et même la relation entre les grandes entreprises et leurs salariés. Les attentes qui découlent de ce sentiment mêlé d’affection et de dépendance demeurant tout au long de l’existence d’un Japonais. 30Pour un occidental, il est difficile de comprendre qu’on puisse chercher à dépendre d’un tiers. Dans les cultures européennes, on tend au contraire à une recherche d’indépendance. Dans le mot « dépendance » en français donc, il y a une connotation négative, ce dont est totalement dépourvu le mot japonais « amae ». 31Ce modèle relationnel n’implique jamais une question d’égalité. Cette relation est asymétrique. Pourtant, contrairement aux pays occidentaux où le respect implique égalité, le respect est au Japon, possible dans ce rapport asymétrique. Ainsi ce modèle de base produit à la fois le respect réciproque mais aussi la définition d’un statut sécurisant.Amae est le lien qui unit et assure la cohésion de la société japonaise. 32Dans cet univers, qu’on pourrait dire d’intimité, ce que l’auteur appelle, « le royaume d’Amaé », il y a sans doute la passivité et la docilité marquantes mais aussi il y a des éléments de défense et d’activité. L’auteur décrit comme un schéma le partage de l’espace affectif avec au centre là où l’individu est exposé dans l’affect, et autour de lui, un premier cercle d’intériorité qui est celui justement d’amae. 33Concept de giri et ninjyo À la périphérie, quoiqu’à une distance variable du centre, un deuxième cercle qui est celui de giri et de ninjyo. Giri, c’est le monde de la dette, de l’obligation et du devoir. Ninjyo est un sentiment de compassion. 34Dans le monde de giri, on échange des services et du dévouement. C’est un monde de réciprocité, là où le jeu affectif doit d’une manière ou d’une autre s’équilibrer. Ce monde du giri s’organise autour de la séquence donner-recevoir rendre. Dans le cercle d’amae, donc, il n’y a pas de problème. L’indulgence vient remplir les manques de la réciprocité. Dans le cercle de giri, il n’est pas question de supporter un manque. Tout se paye et, s’il n’est pas possible de payer, c’est la honte, sentiment social que Ruth Benedict avait parfaitement observé comme la culture de la honte. D’où, la responsabilité inaliénable qui s’étend d’ailleurs aux actes de tous ceux avec lesquels on est en relation d’amae. Harakiri, le suicide japonais classique par éviscération abdominale (les Japonais l’appellent aussiSeppuku) montre l’exemple de cette conséquence extrême. 35L’auteur poursuit ce schéma de double cercle : ce monde de giri n’est pas seulement affecté à cette sorte d’acte interpersonnel permanente ou obsessionnelle, mais ce rapport est en général humanisé par le ninjyo, c’est-à-dire un sentiment de compassion, de pitié de compréhension, etc. Il y a ninjyo chaque fois qu’une faveur, une amabilité non ritualisées viennent s’insinuer dans l’ordre de giri. 36On voit de ce fait que ninjyo est une sorte de réplique à usage extérieur de ce qui estamae dans le cercle intérieur. Ce contraste intérieur-extérieur « [...] puisqu’en fait on peut considérer comme étant respectivement contenant et contenu ». (DOI, p. 29) n’est donc, à ce niveau, pas fatal et le monde de giri peut s’ouvrir à amae plus ou moins complètement. 37L’auteur décrit cette relation entre giri et ninjyo, « on peut conclure que giri et ninjyosont tous deux profondément enracinés dans amae. Mettre le ninjyo en avant équivaut à affirmer son amae, à sensibiliser autrui à cet amae. En revanche, mettre l’accent sur legiri, c’est insister sur les liens qui se sont créés par le biais de l’amae. On pourrait remplacer amae par le terme plus abstrait de « dépendance » ; ainsi, le ninjyo serait un état d’esprit de la dépendance, et le giri une situation qui lierait les êtres dans des rapports de dépendance. La société japonaise traditionnelle, dans laquelle le giri et le ninjyoconstitueraient les concepts moraux dominants, peut, sans exagération, être décrite comme un univers saturé d’amae ». (p. 30) 38Concept de tanin et enryo Mais le cercle de giri est lui-même bordé par un troisième territoire, celui de tanin. Ici, Doi nous dit que le mot tanin désigne, d’abord « les personnes avec lesquelles on n’a pas de lien de parenté. […..] Et on a, en effet, tendance, au Japon, à tenir les rapports parents/enfants pour idéaux. » (p. 31) et ce qui convient à cette attitude de tanin, c’est quelque chose de beaucoup plus froid, une attitude réservée (enryo), la discrétion, le formalisme. Le terme ‘enryo’ signifie réserve, retenue, discrétion, hésitation, considération discrète. 39Le monde de tanin est une image inversée du royaume d’amae. En fait, tanin, c’est l’autre inconnu ou mal connu avec qui la relation doit être prudente. Pour Doi, le sentiment spontané de l’amae existe dans les rapports entre parents et enfants comme base, mais partout ailleurs où il est présent, soit dans la relation quasi ou pseudo-parentale, soit dans la relation où entre en jeu une certaine dose de sentiment parental ou filial. 40C’est ainsi que se constitue le domaine du ninjyo ainsi que la sphère du giri, liens de dépendance contractés sur le plan social : « le monde extérieur, avec lequel on n’entretient ni giri, ni ninjyo, est peuplé de tanin, c’est du domaine ‘des autres’ » (p. 32). 41Cet enryo est réciproquement proportionnel au degré d’intimité et croît en raison directe de la distance sociale. Il n’y pas d’enryo dans le rapport entre parents et enfants dans l’amae. Selon l’auteur, au fond, les Japonais ne font pas grand cas de l’enryo. « Chacun est persuadé, dans son for intérieur, que l’idéal serait la suppression de toutenryo, ce qui s’accorde bien avec la façon dont, fondamentalement les Japonais font de la relation parents-enfants le modèle privilégié de toute relation où l’on tend à ne faire qu’un avec l’autre » (p. 32). 42Dans cette optique, il est compréhensible que le concept occidental de liberté individuelle ait eu du mal à prendre racine au Japon. 43L’auteur poursuit : « Non seulement le Japon n’a pas su établir la liberté de l’individu, comme distinct du groupe, mais il semble y manquer également cet amour du bien public qui transcende l’individu et le groupe. Cela tient également au fait que les Japonais divisent leur vie en deux secteurs, l’un extérieur et l’autre intérieur, dont chacun a ses propres normes de conduite et que cette tradition ne gêne personne » (p. 35). L’analyse de Doi nous montre que grâce à la gestion des conduites d’enryo, la distinction entre ‘intérieur’ et ‘extérieur’ est, en général, pertinente pour l’individu lui-même, mais que celle entre privé et public ne l’est pas. 24Entendre pourrait être ainsi les premières impressions qui s’inscrivent dans la trame mnésique psychique, mais aussi pourrait transmettre ce qui est de l’ordre d’une ambiance affective accompagnatrice d’un climat relationnel, dont le sujet ne garde parfois aucun souvenir conscient, mais qui se perpétue en lui dans son inconscient; cela pourrait souvent avoir des caractères traumatiques. Dans ce sens, la résonance psychologique produite chez le sujet par le fait d’entendre et ses expériences sonores occupent au premier plan l’espace psychique du sujet et ces expériences fondamentales lui influenceraient largement la relation à l’autrui et au monde. 25L’enfant naît dans un groupe familial, le premier emboîtement groupal au sein duquel son fondement psychique se construit. Son premier environnement sonore est également imprégné dans sa dimension groupale qui est appelé, le « groupe vocal familial » (Lecourt 1994) comme un premier organisateur des échanges sonores. Ce « groupe vocal familial », un bain sonore pour l’enfant (Lecourt 1994) est en soi un ancrage culturel. B. Culture et spécificité de la structure psychologique japonaise 26Chaque culture se propose, au moyen de mécanismes variés, d’organiser le mode de pensée, le mode relationnel et la manière d’être. Il y a là des rapports dynamiques entre psychisme et culture. Les deux concepts sont inséparables l’un de l’autre : ils se construisent, se génèrent en interactions, s’étayant de manière réciproque. Ainsi l’individu organise son psychisme en s’enracinant dans la manière dont les rapports sociaux sont structurés. De ce point de vue, la culture nipponne ne fait pas exception : elle influence largement le mode relationnel qui prend la coloration particulière, notamment le besoin de conformité au groupe, la référence constante à autrui et l’attention portée à l’autre. 1. Notion d’amae, type de relation fondée sur la dépendance 27Concept d’amae Le mot amae est un substantif dérivé du verbe amaeru, dont le sens est « dépendre, attendre un traitement favorable d’autrui » et leur racine « amai » signifie sucré, ce qui renvoie au langage infantile universel pour nommer la mère, la mamelle et le produit de la mamelle. 28Japonais, le Dr Doi, clinicien et médecin thérapeute, entraîné au maniement des sciences humaines de l’Occident a été sensibilisé par la différence entre ces deux cultures : écart de façon de pensée, de sensibilité, qu’il observait dès qu’il abordait les problèmes interpersonnels ou l’analyse de la subjectivité de ses patients. Dans son ouvrage, intitulé,Le jeu de l’indulgence (amae no kozo), il a tenté une approche psychologique des modes de comportement japonais à partir d’une étude philologique de certaines expressions singulières nippones telle que amae. 29Ce que Doi met en valeur, c’est l’importance du type de relation fondée sur la dépendance affective et sur l’expectation d’indulgence, qui est la conséquence directe de cette dépendance. C’est ce concept double de dépendance et d’attente de l’indulgence qui donne le sens au mot amae. En fait, le modèle de amae est la relation mère-enfant. C’est un modèle dont on pourrait dire qu’il est transfusionnel affectif. Ce modèle de base, structure la relation mari-épouse, maître-disciple, médecin-malade et même la relation entre les grandes entreprises et leurs salariés. Les attentes qui découlent de ce sentiment mêlé d’affection et de dépendance demeurant tout au long de l’existence d’un Japonais. 30Pour un occidental, il est difficile de comprendre qu’on puisse chercher à dépendre d’un tiers. Dans les cultures européennes, on tend au contraire à une recherche d’indépendance. Dans le mot « dépendance » en français donc, il y a une connotation négative, ce dont est totalement dépourvu le mot japonais « amae ». 31Ce modèle relationnel n’implique jamais une question d’égalité. Cette relation est asymétrique. Pourtant, contrairement aux pays occidentaux où le respect implique égalité, le respect est au Japon, possible dans ce rapport asymétrique. Ainsi ce modèle de base produit à la fois le respect réciproque mais aussi la définition d’un statut sécurisant.Amae est le lien qui unit et assure la cohésion de la société japonaise. 32Dans cet univers, qu’on pourrait dire d’intimité, ce que l’auteur appelle, « le royaume d’Amaé », il y a sans doute la passivité et la docilité marquantes mais aussi il y a des éléments de défense et d’activité. L’auteur décrit comme un schéma le partage de l’espace affectif avec au centre là où l’individu est exposé dans l’affect, et autour de lui, un premier cercle d’intériorité qui est celui justement d’amae. 33Concept de giri et ninjyo À la périphérie, quoiqu’à une distance variable du centre, un deuxième cercle qui est celui de giri et de ninjyo. Giri, c’est le monde de la dette, de l’obligation et du devoir. Ninjyo est un sentiment de compassion. 34Dans le monde de giri, on échange des services et du dévouement. C’est un monde de réciprocité, là où le jeu affectif doit d’une manière ou d’une autre s’équilibrer. Ce monde du giri s’organise autour de la séquence donner-recevoir rendre. Dans le cercle d’amae, donc, il n’y a pas de problème. L’indulgence vient remplir les manques de la réciprocité. Dans le cercle de giri, il n’est pas question de supporter un manque. Tout se paye et, s’il n’est pas possible de payer, c’est la honte, sentiment social que Ruth Benedict avait parfaitement observé comme la culture de la honte. D’où, la responsabilité inaliénable qui s’étend d’ailleurs aux actes de tous ceux avec lesquels on est en relation d’amae. Harakiri, le suicide japonais classique par éviscération abdominale (les Japonais l’appellent aussiSeppuku) montre l’exemple de cette conséquence extrême. 35L’auteur poursuit ce schéma de double cercle : ce monde de giri n’est pas seulement affecté à cette sorte d’acte interpersonnel permanente ou obsessionnelle, mais ce rapport est en général humanisé par le ninjyo, c’est-à-dire un sentiment de compassion, de pitié de compréhension, etc. Il y a ninjyo chaque fois qu’une faveur, une amabilité non ritualisées viennent s’insinuer dans l’ordre de giri. 36On voit de ce fait que ninjyo est une sorte de réplique à usage extérieur de ce qui estamae dans le cercle intérieur. Ce contraste intérieur-extérieur « [...] puisqu’en fait on peut considérer comme étant respectivement contenant et contenu ». (DOI, p. 29) n’est donc, à ce niveau, pas fatal et le monde de giri peut s’ouvrir à amae plus ou moins complètement. 37L’auteur décrit cette relation entre giri et ninjyo, « on peut conclure que giri et ninjyosont tous deux profondément enracinés dans amae. Mettre le ninjyo en avant équivaut à affirmer son amae, à sensibiliser autrui à cet amae. En revanche, mettre l’accent sur legiri, c’est insister sur les liens qui se sont créés par le biais de l’amae. On pourrait remplacer amae par le terme plus abstrait de « dépendance » ; ainsi, le ninjyo serait un état d’esprit de la dépendance, et le giri une situation qui lierait les êtres dans des rapports de dépendance. La société japonaise traditionnelle, dans laquelle le giri et le ninjyoconstitueraient les concepts moraux dominants, peut, sans exagération, être décrite comme un univers saturé d’amae ». (p. 30) 38Concept de tanin et enryo Mais le cercle de giri est lui-même bordé par un troisième territoire, celui de tanin. Ici, Doi nous dit que le mot tanin désigne, d’abord « les personnes avec lesquelles on n’a pas de lien de parenté. […..] Et on a, en effet, tendance, au Japon, à tenir les rapports parents/enfants pour idéaux. » (p. 31) et ce qui convient à cette attitude de tanin, c’est quelque chose de beaucoup plus froid, une attitude réservée (enryo), la discrétion, le formalisme. Le terme ‘enryo’ signifie réserve, retenue, discrétion, hésitation, considération discrète. 39Le monde de tanin est une image inversée du royaume d’amae. En fait, tanin, c’est l’autre inconnu ou mal connu avec qui la relation doit être prudente. Pour Doi, le sentiment spontané de l’amae existe dans les rapports entre parents et enfants comme base, mais partout ailleurs où il est présent, soit dans la relation quasi ou pseudo-parentale, soit dans la relation où entre en jeu une certaine dose de sentiment parental ou filial. 40C’est ainsi que se constitue le domaine du ninjyo ainsi que la sphère du giri, liens de dépendance contractés sur le plan social : « le monde extérieur, avec lequel on n’entretient ni giri, ni ninjyo, est peuplé de tanin, c’est du domaine ‘des autres’ » (p. 32). 41Cet enryo est réciproquement proportionnel au degré d’intimité et croît en raison directe de la distance sociale. Il n’y pas d’enryo dans le rapport entre parents et enfants dans l’amae. Selon l’auteur, au fond, les Japonais ne font pas grand cas de l’enryo. « Chacun est persuadé, dans son for intérieur, que l’idéal serait la suppression de toutenryo, ce qui s’accorde bien avec la façon dont, fondamentalement les Japonais font de la relation parents-enfants le modèle privilégié de toute relation où l’on tend à ne faire qu’un avec l’autre » (p. 32). 42Dans cette optique, il est compréhensible que le concept occidental de liberté individuelle ait eu du mal à prendre racine au Japon. 43L’auteur poursuit : « Non seulement le Japon n’a pas su établir la liberté de l’individu, comme distinct du groupe, mais il semble y manquer également cet amour du bien public qui transcende l’individu et le groupe. Cela tient également au fait que les Japonais divisent leur vie en deux secteurs, l’un extérieur et l’autre intérieur, dont chacun a ses propres normes de conduite et que cette tradition ne gêne personne » (p. 35). L’analyse de Doi nous montre que grâce à la gestion des conduites d’enryo, la distinction entre ‘intérieur’ et ‘extérieur’ est, en général, pertinente pour l’individu lui-même, mais que celle entre privé et public ne l’est pas. 2. L’éthique de situation 44M. KAWAI Hayao, psychologue et psychanalyste remarque également une certaine mentalité spécifique japonaise. L’ayant constaté dans sa pratique lors de sa formation aux Etats-Unis, puis en Europe, il souligne les différences de la mentalité japonaise : ne pas indisposer l’autre, savoir lui plaire, être sensible à son attente. 45Il postule l’idée de l’éthique de situation en contradiction avec l’éthique du sujet en Occident. Le sujet nippon a une forte tendance et à s’exprimer en fonction de l’autre plutôt qu’à partir de sa propre référence. Ce qui prime au premier plan, c’est ‘atmosphère, ambiance’ mais non pas forcément ‘le contenu‘. Cette mentalité particulière, appelée ‘éthique de situation’ selon Kawai favorise la communication non-langagière : comprendre à demi-mot, même non-dit et entre les lignes à l’insu du sujet nippon, qui dégage une certaine qualité relationnelle particulièrement nipponne. 46Même dans la communication langagière, de manière générale, le sujet nippon occulte le sujet ‘watashi’ (je) et modifie la façon de formuler les phrases en fonction de la situation dans laquelle il se trouve et en fonction de l’autre (masculin, féminin, aîné, cadet, âgé, enfant, professeur, élève, épouse, époux, familier, officiel, etc.). Ce type d’escamotage de « sujet » dans le langage parlant chez les Japonais illustre bien cette mentalité singulière, comme l’approche psychanalytique a démontré le rôle essentiel du langage dans la compréhension du fonctionnement psychique notamment de celui de l’inconscient. 3. L’imago maternelle dans la culture japonaise 47Les deux concepts suivants se rattachent à la relation mère-enfant qui semble caractériser la psychologie inconsciente spécifique japonaise dans sa dimension relationnelle. 48L’imago maternelle au Japon L’imago maternelle tient une place essentielle dans la culture japonaise J.-C. JUGON analyse les caractéristiques de la relation précoce mère-enfant chez les Japonais (2002) : la mère gratifiante : être toujours près de son enfant, coucher dans la même pièce jusqu’à un âge avancé, lui éviter les frustrations par peur d’être cruelle. Le jeune enfant japonais peut donc garder assez longtemps l’illusion que seule la « bonne mère » existe puisque sa sollicitude contente ses demandes pulsionnelles. 49De ce fait, l’enfant japonais ne peut pas trouver consciemment d’assez bonnes raisons de haïr sa mère ou de se rebeller contre elle. Tout ceci concourt à rendre moins intense le vécu persécuteur de la position schizo-paranoïde (M. KLEIN). En revanche, la position dépressive l’est beaucoup plus face à l’indulgence maternelle, car l’enfant perçoit intuitivement dans l’inconscient de sa mère son attitude générale de victime, imprégnée dans une image culturelle de « bonne mère ». 50L’auteur analyse une certaine problématique particulière chez les jeunes japonais : par exemple, un comportement comme la fréquence de la peur de l’étranger, souvent rencontré chez la personnalité timide témoigne de l’impact du vécu de la position dépressive dans la grande intimité des rapports affectifs mère-enfant au Japon. L’auteur souligne le lien entre l’inhibition de l’agressivité et la clinique des phobies sociales dans leur rapport à l’imago maternelle. 51Egalement le phénomène de « ijime » (brimades) de leurs camarades de classe chez les enfants japonais s’accroît de plus en plus de nos jours. C’est parce que dans ce type de schéma psychologique cité plus haut, les enfants ne disposent pas suffisamment de mécanisme de défense face à l’humiliation répétée : pour eux, autant que possible, il vaut mieux éviter d’accuser autrui d’un tort pour ne pas troubler la sacro-sainte harmonie du groupe. Selon l’auteur, dans ce contexte, il est difficile de cultiver l’individualisme, car revendiquer ou dénoncer est en effet perçu comme une manifestation d’individualisme. Autrefois, lorsqu’il y avait encore un « bon environnement » fondé sur la famille nombreuse, la cohabitation avec plusieurs générations, l’enfant ne pouvait pas rester longtemps dans le « cocon » : les rapports intimes avec la mère gratifiante, qui permettent d‘élaborer le mécanisme de défense suffisaient. 52Ainsi l’imago maternelle est ancrée très fortement chez les Japonais. Je ne parlerai pas ici de la culture de la honte, une des spécificités de la culture japonaise, mais je rappellerai juste le lien étroit entre la culture de la honte et l’imago maternelle au Japon. À ce propos, le contraste de la honte et de la culpabilité proposée par R. BENEDICT pour opposer les valeurs du Japon à celles de l’Occident souligne bien l’écart qui sépare l’introjection du Sur-Moi maternel et du Sur-Moi paternel. 53Le complexe d’Ajase, le concept psychanalytique japonais Je voudrais aborder ici succinctement un autre concept psychanalytique nippon permettant de décrire la particularité de l’imago maternelle au Japon. K. OKONOGI, psychanalyste japonais, dans son ouvrage intitulé Nihonjin no Ajase complexe (le complexe d’Ajase chez les Japonais, 1982) reprend le concept du complexe d’Ajase comme soubassement de la psychologie japonaise. 54Le fondateur de ce concept, le Dr H. KOSAWA (1896-1968) effectuant un séjour en Autriche afin d’étudier à l’institut de Psychanalyse de Vienne rencontre FREUD et à cette occasion, lui soumet sa thèse sur le complexe d’Ajase par lequel il tente d’expliquer les particularités des relations mère-enfant au Japon. À partir de l’histoire d’Ajase, il a développé une série d’hypothèses, susceptibles d’expliquer de manière particulière l’agencement de l’imago maternelle chez les Japonais en s’approchant de la théorie kleinienne. 55Ajase, personnage historique et mythique en Inde est lié également à l’histoire du bouddhisme dont ses apports varient. On y trouve plusieurs versions différentes. OKONOGI (1982) remarque que le Dr KOSAWA ne retient que certains éléments pour étayer ses propres points de vue. 56Dans les textes japonais, le nom d’Ajase est souvent rendu par le terme ‘misho-on’ qui signifie ‘rancune prénatale’ : ne pouvant avoir d’héritier, le roi Bimbisara rend un jour visite à un prophète qui lui prédit qu’un vieux saint mourra puis se réincarnera comme héritier du royaume de Magandha. Le roi ne peut attendre le décès de cet homme, alors il le fait assassiner. Peu après son épouse est enceinte. Mais le prophète prédit encore que l’héritier conservera de la haine contre ses parents et qu’il tuera son père. Ayant peur de ce futur événement, le roi et son épouse décident de jeter le nouveau-né du haut d’une tour. Miraculeusement, le bébé en réchappe et n’a qu’un doigt cassé. Bien que l’interprétation de cette histoire mythique soit différente entre celle de KOSAWA et OKONOGI, les thèmes principaux autour de cette histoire d’Ajase sont tout d’abord : 1) un sentiment ambivalent de la mère partagé entre son désir de maternité et ses propres pulsions agressives envers son bébé. 2) l’enfant en âge prépubertaire perçoit ce conflit dans un effet d’après-coup au sens psychanalytique du terme. Dans la version de KOSAWA, c’est l’origine de la rancune prénatale. 3) L’enfant poussé par sa rancune, éprouve le désir de tuer sa mère (là en opposition avec le complexe d’Œdipe) et il la tourmente, la fait souffrir. En terme kleinien, il s’agit d’un vécu qui ressemble aux fantasmes archaïques de persécution de la phase schizo-paranoide dans une phase agressivité de l’enfant contre le mauvais sein de la mère. 4) La mère espère inconsciemment deux choses : le pardon de l’enfant pour avoir désiré commettre son meurtre néonatal et la connaissance de son dévouement ultérieur, de son sacrifice pour lui, preuves concrètes de la réparation. Elle fait donc appel à la culpabilité inconsciente que l’enfant doit ressentir devant l’horreur de son propre désir du meurtre de sa mère. Il s’agit là du vécu de la phase dépressive. 5) Le dénouement final « idéal » serait un pardon réciproque où chacun accepterait de pardonner la faute de l’autre et du même coup la sienne propre. Grâce aux désirs de réparation, la détresse de la phase dépressive pourrait ainsi être surmontée. 57La particularité de cette notion du complexe d’Ajase est dans la faculté de pardon et de compassion de la mère. C’est la qualité maternelle par excellence. Ce type d’imago maternelle est souvent mis en avant dans la culture japonaise et par l’extension de ce type de lien relationnel, les Japonais ont souvent tendance au recours à l’amnistie mutuelle dans le contexte conflictuel éventuel. C. La Dimension groupale dans la perspective psychanalytique et la production sonore 58Le groupe joue un rôle important pour les rapports et les mouvements dans les diverses dimensions de son organisation sociale, culturelle, économique et politique. Il tient de ces fonctions médiatrices sa valeur d’instrument de la socialisation. Dans toutes les sociétés et à toutes époques, le groupe a été utilisé comme un agent de production et de reproduction de la vie psychique, des valeurs morales, des idéologies, du savoir-faire. L’approche psychanalytique du groupe met l’accent sur la compréhension des processus psychiques que le groupe mobilise dans la dimension de la subjectivité. 1. Théories des processus de groupe 59Depuis les années 30, des théories des processus de groupe ont été élaborées, notamment telles que « dynamique des groupes » par Kurt Lewin (1940), le courant morenien du psychodrame et la sociométrie. Le premier modèle de groupe est basé sur la fonctionnalité, dite ‘modèles structuralistes’ dans lesquels l’accent est mis sur la réalité psychique de l’ensemble : notamment, la matrice groupale (FOULKES 1964) : la notion du groupe comme matrice psychique, le terrain commun des relations d’opérations, y compris toutes les interactions des membres participants du groupe. Dans cette matrice psychique, il y a toujours la présence d’un fond de compréhension inconsciente, dans lequel se produisent des réactions et des communications très complexes. FOULKES s’appuie sur cette notion pour soutenir que le groupe possède les éléments thérapeutiques. 60Les contributions des sujets participants du groupe sont considérées comme des processus et des contenus qui produisent la formation de la mentalité de groupe et que BION définit : « La mentalité de groupe est l’expression unanime de la volonté du groupe, à laquelle l’individu contribue de façon inconsciente, [...] On pourrait la décrire comme un mécanisme d’intercommunication destiné à garantir l’accord de la vie de groupe avec l’hypothèse de base » (BION pp. 41-42). Il poursuit : « La culture de groupe est fonction du conflit entre les désirs de l’individu et la mentalité de groupe. Il s’ensuit que la culture de groupe révèle toujours l’existence des hypothèses de base sous-jacentes ». BION relève que dans la dynamique des groupes, la place principale est occupée par des mécanismes plus primitifs comme faisant partie des positions schizo-paranoïdes (M. KLEIN) et que dans la formation de la vie mentale des groupes, les expériences émotionnelles occupent la place fondamentale. Il observe que le groupe est le lieu d’émotions puissantes. 2. Appareil psychique groupal, groupalité psychique, groupe interne 61Les phénomènes de la cohésion d’un groupe qui sont attribués à l’implication des membres dans l’accomplissement des buts et à l’établissement d’un réseau relationnel interindividuel sont les domaines conscients, mais en fait, ils sont la conséquence d’un processus inconscient fondamental, à savoir que des fantasmes individuels des membres sont fortement entrés en résonance les uns avec les autres et que le groupe s’est fondé autour d’une sorte d’imago commune. 62Il s’agit donc des phénomènes intersubjectifs et sociaux et de ceux de groupalité intrapsychique. Dans la situation groupale, la psyché individuelle (l’Appareil Psychique individuel de Freud) va travailler de manière particulière. Ainsi le groupe devient le lieu d’une réalité psychique propre. Cette réalité spécifique est produite, contenue, transformée et gérée par ce que R. KAES appelle un appareil psychique groupal (APG), au principe duquel agissent des organisateurs inconscients décrits comme des ‘groupes internes’. (R. KAES, 1976). 63Dans ce modèle de l’appareil psychique groupal, le concept de groupe interne occupe la place centrale : il traite des formes de la groupalité psychique et les processus de leur transformation en tant qu’organisateurs psychiques inconscients du lien intersubjectif de groupe. 64La notion de la groupalité psychique désigne une structure et une activité fondamentale et constante de la psyché, par le travail d’association, de dissociation des affects et des objets. Autrement dit, elle décrit l’activité de groupement/dégroupement de la psyché dans la psyché. Selon R. KAES, la construction de l’appareil psychique groupal s’opère par un double étayage, d’une part sur les appareils psychiques individuels composants, d’autre part sur la culture environnante et les représentations collectives du groupe que celle-ci fournit. 65KAES souligne surtout l’aspect relationnel d’isomorphie et d’homomorphie entre appareil groupal et appareil individuel et il met en évidence l’existence d’un conflit entre la tendance à réaliser l’identité du groupal (isomorphie) et de l’individuel et une tendance du psychisme groupal à se différencier du psychisme individuel tout en établissant avec lui certaines analogies (homomorphie). À ce sujet, S. FREUD a déjà pensé que l’idéal du moi pourrait assurer l’unité et la cohésion d’une collectivité et il a notamment montré le rôle organisateur ou désorganisateur de l’imago dans les foules et dans la société entière. 3. Vécu émotionnel dans la situation groupale, l’illusion groupale 66Un des disciples de Rogers en France, M. PAGES dans La vie affective des groupes (1968), admet l’existence d’un affect de groupe qui offre aux participants du groupe une intense expérience de communion affective qui leur permet de retrouver le ‘lien originel‘ entre les êtres humains, et ceci grâce au fait que chacun renvoie au groupe son vécu émotionnel de la situation. Ce lien originel supposé par cet auteur est en fait une dépendance archaïque : Ies participants cherchent inconsciemment à retrouver le bon sein, après avoir vécu lors des premières réunions l’angoisse persécutrice véhiculée par le fantasme inconscient d’un danger de destruction par le groupe en tant que mauvaise mère (période initiale d’un groupe). 67Cette idée de ‘lien originel’ rejoint la notion ‘d’illusion groupale’ qui a été conçue par D. ANZIEU pour repérer un moment particulier de la vie de groupe, le moment où les participants du groupe ont l’illusion de ne faire qu’un : « J’appelle, ‘illusion groupale’, un état psychique particulier qui s’observe aussi bien dans les groupes naturels que thérapeutiques ou formatifs, et qui est spontanément verbalisé par les membres sous la forme suivante : Nous sommes bien ensemble » (D. ANZIEU, 1999, p. 76). 68Selon l’auteur, cette notion porte deux phases antagonistes. L’illusion groupale n’est une face d’un processus, qui a pour contrepoint le ‘fantasme de casse’, forme groupale de l’angoisse de castration et de destruction. La puissance du vécu fusionnel groupal a pour contrepartie la force des pulsions d’auto-destruction. Cela rejoint un aspect relationnel conflictuel que R. KAES souligne dans la construction de l’appareil psychique groupal cité plus haut. 4. Enveloppe psychique (A. Missenard) et Moi-peau (D. Anzieu) 69A. Missenard (1971) a fait remarquer que l’origine de la résonance fantasmatique se trouve dans la relation archaïque, c’est à dire la relation dyade symbiotique mère-enfant et en s’appuyant sur la métaphore du plasmodium (tissu vivant particulier composé d’un ensemble de noyau au sein d’un cytoplasme unique), il a essayé d’expliquer la trame faite des désirs de celui qui a pris l’initiative de réunir le groupe et sur le fond de laquelle se déroulent les processus groupaux. Ainsi au niveau de son fonctionnement, le groupe peut être décrit comme ce tissu vivant particulier appelé plasmodium et le groupe est comme un tissu fait d’un assemblage de cellules différenciées, chacune ayant une certaine unité. Un appareil psychique groupal pourrait donc se constituer à partir d’un appareil psychique individuel. De ce fait, les métaphores du groupe comme « corps social » et des individus qui en font partie comme « membres » visent, entre autres, à réaliser ce désir de soi du groupe de trouver sa place dans un organisme vivant. 70D. ANZIEU reprend cette idée en indiquant que pour l’inconscient individuel, le groupe est une surface projective pour la culture et la société. Il est ainsi un miroir à deux faces et il postule la notion de l’enveloppe de l’appareil psychique, qu’il soit individuel ou groupal, qui assure la fonction de contenir, délimiter, protéger et qui permet des échanges avec l’extérieur – ce que ANZIEU appelle un Moi-peau (1974). 71Cette enveloppe psychique de l’appareil groupal instaure donc la séparation entre dehors et dedans, pour mettre en contact, pour filtrer leurs échanges. Il compare la fonction de l’enveloppe psychique à la métaphore que FREUD a attribuée à la fonction du Moi qu’est une double surface, externe et interne comme membrane sensible à la fois à la réalité matérielle et à la réalité psychique. 72Il dégage dans son ouvrage intitulé, Le groupe et l’inconscient, les facteurs d’organisateurs psychiques inconscients du groupe et l’enveloppe psychique est parmi eux. Les autres facteurs sont tout d’abord l’inconscient du groupe, le fantasme individuel, puis l’imago, le fantasme originaire et enfin, le complexe d’Œdipe qui est l’organisateur spécifique du groupe familial ou méta-organisateur groupal. À propos de l’image, c’est Jung qui fut le premier utilisateur du mot en y mettant le sens psychologique, lui assignant trois domaines : paternel, maternel, fraternel. 73ANZIEU admet que l’inventaire des imagos reste une question ouverte et l’existence d’une imago maternelle ou paternelle double, bonne et mauvaise comme objet d’ambivalence. L’imago fonctionne ainsi comme organisateur tendant à assurer au groupe un état d’équilibre entre la tendance à l’isomorphie et celle de l’homomorphie. 74Il résume en somme qu’il y a trois 3 principes de fonctionnement psychique de l’appareil groupal : le premier est l’indifférenciation de l’individu et du groupe(que R. KAES a dénommé tendance à l’isomorphie, le deuxième est l’autosuffisance du groupe par rapport à la réalité psychique et sociale et enfin la délimitation entre dedans du groupe et le dehors. 5. Espace sonore, musico-verbal 75La délimitation entre dedans et dehors, fonctionnement psychique qui renvoie à la notion de ‘contenant-contenu’ de BION. Selon Bion, C’est un élément psychanalytique primordial. Il l’a désigné « comme un des aspects essentiels de la conception kleinienne de l’identification projective. [...] C’est la représentation d’un élément que l’on pourrait définir comme une relation dynamique entre un contenant et contenu ». (p. 11, Eléments de psychanalyse) Il poursuit son analyse : le passage du ‘non penser’, les éléments ‘bêta’, au ‘penser’, les éléments ‘alpha’ repose sur une capacité propre au sein maternel de ‘contenir’ dans un espace psychique délimité les sensations, les affects, les traces mnésiques qui font effraction dans son psychisme naissant. Elle est indispensable au développement psychique du nourrisson. D. ANZIEU ajoute à ce processus passager du développement psychique du nourrisson à l’émergence d’une ébauche d’identité, un élément plus primaire qui est l’existence d’un miroir sonore. 76Conjointement à l’établissement des limites du Moi comme miroir à deux faces étayé sur les sensations tactiles, D. ANZIEU fait remarquer l’existence d’un espace sonore dans lequel le Soi se constitue par son introjection comme cavité psychique d’une ébauche d’identité. Ce miroir sonore pour lui est le premier espace psychique. Il souligne les faits en matière d’audition et de phonation chez le nourrisson qui montrent que le bébé est lié à ses parents par un système de communications réellement audiophoniques. « la cavité buccopharyngée, en ce qu’elle produit les formants indispensables à la communication, est très tôt sous le contrôle de la vie mentale embryonnaire en même temps qu’elle joue un rôle essentiel dans l’expression des émotions. » Il continue : « le cri est, dès la naissance, le son le plus caractéristique émis par les nouveau-nés ». 77En s’appuyant sur les résultats des travaux qui montrent l’existence des cris chez les nourrissons structurellement et fonctionnellement distincts : le cri de faim, le cri de colère, le cri de douleur d’origine externe, le cri de réponse à la frustration, il met l’accent sur la première émission sonore intentionnelle qui est la première des réactions circulaires constatables chez les nouveau-nés et sur cette capacité précoce très en avance sur celles relatives à la vue et à la psychomotricité qui peut être prototype des apprentissages discriminatifs ultérieurs. 78Ainsi l’enveloppe sonore contribue fondamentalement à la construction psychique de l’individu. « Ce n’est pas par hasard si le concept de résonance acoustique a fourni aux savants le modèle de toute résonance psychique et aux psychologues et psychanalystes de groupe celui de la communication inconsciente entre les personnes » (p. 172-173 Les enveloppes psychiques). 79E. LECOURT associe la notion de bain sonore développée par D. ANZIEU à la musique et aux gesticulations du nourrisson porté, des qualités du holding (WINNICOTT, 1971). Elle propose également le concept de ‘groupe-musique-originaire’ (1985) précurseur de l’illusion groupale, telle qu’elle apparaît dans les groupes d’improvisation musicale. C’est sous la forme du ‘groupe-musique’. Dans le premier cas du groupe familial, autour du nourrisson, le bain sonore(bruits, musiques, paroles, vibrations, silence) serait une expérience fusionnelle toute-puissante. Elle souligne la fonction des qualités sonores relationnelles qui enveloppent, protègent des intrusions comme l‘ ‘enveloppe sonore’ de la mère pour le nourrisson qui constitue un premier pare-excitation. 80E. LECOURT évoque la fonction analogique d’intersensorialité du Moi-peau qui relie entre elles, les sensations diverses naturelles et celle de l’enveloppe sonore en proposant de la considérer à la lumière de ses deux faces, une face verbale, une face musicale. Elle postule l’hypothèse qu’elles sont unies par le matériau sensoriel sonore et la structure groupale dont elles sont issues d’une part, l’intensité de la maîtrise que nécessite le vécu sonore d’autre part. 81Elle considère que de l’une à l’autre s’étendent des niveaux de différenciation et d’articulation : la face verbale, univocale, fil apparent du tissu, en tournant vers l’extérieur (dans le temps) et la face musicale, plurivocale, tissée en épaisseur, en tournant plutôt vers l’intérieur (dans l’espace comme dans le temps). Elle fait remarquer leurs différents modes de contacts ; l’une sonne, vibre et résonne et l’autre est plus articulatoire et abstraite. Ces deux faces indissociables et complémentaires et cette combinaison servent de fonction d’interface et de liaison entre la cohésion, tournée vers le groupe interne et la différenciation tournée vers le groupe externe. 6. Les Incorporats culturels et l’improvisation sonore en groupe 82Il me semble évident qu’il y a des rapports dynamiques entre psychisme et culture. Comme je l’ai cité plus haut, R. KAES analyse la formation du psychisme en double mouvement étayé par la culture et les groupes primaires et secondaires : d’une part la culture contient et maintient le fond syncrétique (J. BLEGER) « pour rentrer en interaction, il doit y avoir un arrière-fond commun de sociabilité. L’interaction est la figure d’une Gestalt sur le fond de la sociabilité syncrétique. On peut dire que celle-ci est le code de celle-là » (p. 52). 83D’autre part, la culture maintient le processus de la structuration psychique en introduisant le sujet à l’ordre de la différence, notamment dans les rapports des sexes et des générations, à l’ordre du système de signification, de désignation et de représentation. 84J.-C. ROUCHY (1998) insiste sur le fait qu’au plan groupal, une base commune partagée, un étayage culturel va procéder à l’individuation et que c’est à partir de cette base incorporée partagée qu’a lieu l’élaboration du psychisme, des sentiments et de pensées. Cette base incorporée perçue de l’extérieur du groupe d’appartenance, alors qu’elle n’est pas perceptible aux membres de ce groupe, qui se renvoient en miroir la même ou l’identique : coutumes alimentaires, rythme de vie, contact et distance corporelle, odeurs, gestuelle, zones érogènes, tonalité et position de la voix, etc., ce que ROUCHY appelle des incorporats culturels. 85Il rapproche cette forme d’incorporation d’autres processus qui semblent liés à une communication directe d’un corps à l’autre et non au refoulement du sujet lui-même. « Dès les premiers moments de la vie, dans les rapports qui s’établissent entre la mère et le bébé, à travers les soins corporels, la façon de porter (le holding), le contact de la peau, de la voix, les rythmes, il y aurait un conditionnement culturel et social modelant la gestuelle, les attitudes corporelles, la distance à l’autre qui est ressentie comme accueillante ou agressive (les différences culturelles sont très évidentes en ce domaine), l’expression des émotions […] et cela de façon tout à fait fondamentale par une fusion du somatique et de la psyché » (p.76). 86Notamment il rejoint le système de protomental (BION) qui se déroule au cours du développement de l’enfant dans lequel il y a des processus passagers de ‘non penser’ à ‘penser’, des processus d’élaboration sentiments et pensée. Il postule ainsi l’hypothèse que c’est à partir des incorporats culturels que fonctionne le système protomental. 87ROUCHY distingue le groupe d’appartenance primaire ou naturel et les groupes d’appartenance secondaire ou institués. 88Il conçoit le premier dans une dimension plus complexe et plus large que la famille nucléaire, y incluant toutes les personnes et tous les espaces dans lesquels l’enfant se développe en rapport matériel ou affectif. Il est évident pour lui que cette dimension et la complexité du groupe d’appartenance primaire dépendent entièrement de la culture et de la structure des liens de parenté et il le considère comme un espace transitionnel dans lequel le sujet se constitue dans son rapport entre son mode intérieur et la réalité extérieure et comme un espace de base suffisamment stable d’où émergent des relations plus élaborées. 89Ainsi, le groupe d’appartenance primaire est la matrice de l’identité culturelle de groupe et c’est la base partagée d’où procède l’individuation. De ce point de vue, E.T. HALL (1971) a fait remarquer que la culture trace la ligne qui sépare l’intérieur de l’extérieur. ROUCHY poursuit son raisonnement : Expérience partagée au début dans l’indifférenciation comme un système protomental que BION décrit, où la relation d’objet n’existe pas encore et n’apparaît que progressivement et cette base culturelle détermine peu à peu les limites du Moi et du non-Moi, de l’intérieur et de l’extérieur, du dedans et du dehors. 90De ce fait, l’individu va progressivement appréhender la réalité, lui donner un sens et construire un système de représentation. Les fonctions psychiques porteraient donc la trace des incorporats culturels du groupe d’appartenance primaire. C’est dans ce sens qu’au sein de la famille ou au sein de la communauté qui a pour fonction ce type du groupe d’appartenance primaire, que la communication à demi-mot ou par un code qui lui est propre la rend compréhensible entre ces membres. 91Les Groupes d’appartenance secondaire sont des groupes institués au sein desquels des individus sont réunis. ROUCHY continue : c’est la différence qui organise les échanges où il existe toujours une relation d’objet et des rapports d’individu à individu. Les groupes secondaires complètent l’intériorisation culturelle et concrétisent l’appréhension de l’espace et du temps. 92Par conséquent, ils ont une fonction de socialisation et d’intériorisation de normes et de valeurs. Selon ROUCHY cette deuxième forme d’intériorisation concerne les modèles culturels du comportement et d’institution qui détermine les conduites des individus et ce type de conduite dans ces modèles culturels n’est très souvent perceptible que par la confrontation avec l’altérité. La confrontation avec une autre culture nous rend compte de nos comportements qui nous apparaissent les plus naturels, qui sont inscrits dans le corps et qui nous échappent. 93On trouve ici le vif intérêt de l’analyse comparative de cultures différentes au travers de la communication non-langagière, qui est inscrite dans le corps et dans la trame de la psyché profonde de l’individu. E.T. HALL met l’accent sur la différence culturelle : « La culture cache plus de choses qu’elle n’en révèle […]. La connaissance qui suit l’analyse d’une culture différente n’est guère plus qu’un témoignage. La raison fondamentale qui pousse un homme à se pencher sur une culture étrangère, c’est l’acquisition d’une meilleure connaissance de sa propre culture. La meilleure raison de se soumettre à des coutumes étrangères, c’est qu’elles engendrent un sens aigu de la vitalité et de l’attention consciente – un attachement à la vie qui ne peut se manifester qu’au contact de la différence et du contraste ». (p. 48) 94ROUCHY souligne l’existence d’un lien dynamique entre processus primaire et secondaire et des possibilités de reproduction et de déplacement dans le groupe secondaire, de mécanisme appartenant au groupe primaire. Il fait également remarquer que le processus d’individuation s’élabore dans le groupe d’appartenance primaire, en rapport aux groupes d’appartenance secondaire où la maturation s’effectue dans la dialectique de processus primaire et secondaire. 95C’est donc dans un processus groupal que résultent certains facteurs pour qu’il y ait un effet positif : le groupe contenant, présente un espace transitionnel et enfin le groupe propose des images identificatoires favorisant pour la structuration du Moi. La défaillance dans d’un des ces trois facteurs aura des conséquences néfastes sur la façon dont l’enfant peut se constituer en tant que sujet, ‘s’individualiser’ et se socialiser progressivement. 96De ce fait l’individuation dans sa dimension groupale est soumise à un paradoxe: devenir différent est étayé sur la dynamique interne du groupe d’appartenance primaire. Il faut noter ici que l’individuation ne doit pas être confondue avec l’individualisation et la différence principale réside dans le besoin pour exister d’être contenu dans un groupe d’appartenance. 97ROUCHY évoque que le degré d’individuation du groupe d’appartenance primaire peut être différent selon les personnes, dans une même famille et selon les sociétés. On constate, bien que la société japonaise semble favoriser la dimension groupale de manière plus importante que l’individuation, que le processus d’individuation dans le sens de la structuration du Moi avec des images identificatoires semble, de manière générale, fonctionner convenablement. Cela illustre ce paradoxe et on ne peut pas nier la dimension de cadre contenant du groupe indispensable à l’équilibre psychique de l’individu. 98Si l’on accorde une très grande importance, dans la formation de la psyché, au concept d’incorporats culturels qui sont profondément ancrés dans le processus primaire et secondaire de l’individu, il est évident que l’on peut l’introduire dans la dimension sensorielle au rapport à la culture. E. LECOURT évoque le ‘sensorium de groupe’ (1990) dans ses analyses sur des expériences de communication sonore groupale qui ont été réalisés dans les différents pays comme manifestations de ces incorporats culturels, s’agissant bien de conduites sonores à l’insu des participants. Elle le définit : « la façon dont les individus en situation de groupe se trouvent sollicités sur le plan sensoriel ». (p. 104) L’improvisation de la production sonore en groupe paraît une meilleure modalité permettant de rendre compte de conduites sonores ou des expressions musicales qui sont inscrites au plus profond dans le conscient ou l’inconscient chez les participants et dans la simultanéité du vécu groupal. L’improvisation est un acte spontané dans lequel apparaissent clairement les éléments culturels. 99E. LECOURT développe cette modalité dans la communication sonore groupale. Elle le précise : « la proposition d’improvisation sonore passe outre les langues, offrant un matériel commun à tous les membres du groupe, elle repose sur des images culturelles fortement teintées de tonalité unifiante – ordre, harmonie, notamment. Non seulement la confrontation linguistique n’a pas plus cours entre les langues des participants (ce qui n’exclut pas le rapport à une structure langagière), mais la musique – introduite, nous l’avons vu, par un passage à l’acte dans ce groupe de parole – est offerte, dans nos groupes d’improvisation, comme préforme à l’illusion groupale, mais une illusion groupale passant par la médiation culturelle de la musique » (p. 106). D’autre part, elle cite la remarque que J. DURING a faite sur la dimension subjective et affective dans l’improvisation (1987) qui est liée à l’instant, au corps et à l’immédiateté. Dans ce sens aussi, l’improvisation de la production sonore en groupe a la particularité de favoriser directement des relations, de ce que l’on appelle la dynamique du groupe. II. Méthodologie A. Rappel de l’hypothèse 100Vivant dans la dimension biculturelle franco-japonaise, j’ai déjà cité mon vif intérêt pour l’étude de la relation dynamique groupale ainsi que pour les processus primaires et secondaires sous-jacents au rapport à la culture à travers la communication sonore groupale. Les éléments de la communication culturelle sont infiniment profonds et très complexes. Chaque univers culturel fonctionne suivant sa propre dynamique interne, ses propres principes et ses propres lois, formulées ou non, qui sont inscrits au plus profond dans le conscient ou l’inconscient de l’individu. 101Pour dégager les processus primaires dans la relation dynamique groupale ainsi que pour éclaircir les éléments culturels tels que je les ai mentionnés : les ‘incorporats culturels’ qui sont appuyés sur les différentes théories dans les chapitres précédents, l’improvisation sonore groupale paraît une modalité pertinente. 102II s’agit ici de présenter l’expérience de l’improvisation de la production sonore, avec trois groupes des sujets habitant au Japon. 103J’émets donc l’hypothèse suivante : les séances d’improvisation de la production sonore au Japon mettront en évidence le mode relationnel typique d’amae ainsi que l’identification particulière au groupe à travers le processus particulier de la groupalité psychique. 104Il devrait ainsi y avoir : d’une part un phénomène de la relation réciproque de dépendance d’autre part, un phénomène d’illusion groupale (D. ANZIEU) très fort après avoir vécu à peine l’angoisse de la période initiale d’un groupe. 105Ainsi, j’essaierai de montrer qu’en présence des organisateurs psychiques groupaux socioculturels qui accéléreront le processus d’accession à l’effet d’ensemble, dès les premières séances apparaîtront, l’effet d’enveloppe harmonique, l’effet d’ensemble, l’effet évolutif du processus dynamique groupal. 106Ces effets devraient être présents pour ces trois groupes, dans l’analyse des séances d’improvisation de la production sonore, notamment dans l’articulation entre les processus groupaux et les musicaux, ainsi que dans l’analyse des évocations qui leur sont associées, exprimées dans les phases de verbalisation. B. Cadre et population 107En décembre 2003, j’ai demandé à quelques amies vivant au Japon, en expliquant bien l’objectif de cette expérience, leur aide pour préparer la composition de deux groupes constitués au moins de 7 ou 8 personnes ne se connaissant pas entre elles. Le nombre de 7 ou 8 est un modèle de petit groupe de sessions en prévoyant le risque d’absence éventuelle pour conserver un groupe c’est-à-dire, minimum 5 ou 6 personnes. 108Ces amies susceptibles de réunir des sujets bénévolement m’ont parlé de leurs difficultés à constituer un groupe, pendant mon court séjour au Japon. 109J’ai donc envisagé de demander à une autre personne de créer un troisième groupe en cas de problème. C’est une semaine avant mon départ au Japon que j’ai su que, finalement, les trois groupes de session seraient réalisables. 110La population que je présente ici, représente trois groupes nippons dont les sujets habitent trois villes éloignées les unes des autres : Akiruno, Yokohama et Fukuoka. Le détail et la composition de chaque groupe sont indiqués dans le tableau ci-dessous. Tableau 1 - Constitution de groupe (population) Tableau 2 - Instruments mis à disposition pour les membres du groupe Groupe 1/Groupe japonais Akiruno 2/Groupe japonais Yokohama 3/Groupe japonais Fukuola Type d'instrumentproposé aux membres du groupe 1 Guitare 3 Castagnettes 2 Clochettes 1 Petit Clairon (jouet d'enfant) 1 Maracas 1 Sifflet 1 Piano 1 Ukulélé 3 Castagnettes 1 Clochette 1 Maracas 1 Harmonica 1 boîte graineuse avec un bâton en bois 1 Tambourin 2 Castagnettes 2 Flûtes 1 Piano 1 Pianica 1 Triangle 1 Clochette 1 Guitare 1 Ocarina 1 Woodblock C. Outils et méthodologie 111La méthodologie que j’ai utilisée est une application d’un protocole expérimental de la communication sonore (E. LECOURT). Il s’agit de l’improvisation de la production sonore/ musicale en groupe en vue de tenter d’entrer en relation par l’intermédiaire des sons en manipulant l’instrument de son choix. Cette improvisation est libre, limitée à dix minutes. On enregistre chaque production sonore spontanée à l’aide de laquelle on trouve des éléments d’analyse. 112La verbalisation suivant chaque expérience et celle d’après l’écoute de leur propre production, permet d’élaborer l’analyse du vécu sonore en relation dans la dimension groupale, invitant à expliciter ce qui était évoqué par l’un ou l’autre en association libre dans la situation relationnelle groupale. On voit l’évolution du processus psychique groupal dans plusieurs séquences (ici 5 séances) et on note également la différence qui pourrait surgir entre la production sonore avec les yeux ouverts et celle avec les yeux fermés. 113La consigne est donnée aux sujets de chaque groupe sous la forme suivante : « Il s’agit d’entrer en relation, de façon non verbale, par l’intermédiaire des sons » complétée par une proposition de « fermer les yeux pour se concentrer sur l’expérience sonore » sauf pour la toute première séquence de chaque séance. Dans le cadre de la consigne, j’ai donné une règle importante, d’une part pour bien cadrer l’espace de jeu expérimental, d’autre part pour éviter au maximum des éléments qui risquent le biais éventuel : il s’agit de ne pas parler pendant la production sonore qui est non verbale et la verbalisation suivra chaque production sonore, montrant que la structure de cette expérience institue deux temps successifs. 114Je porterai mon attention maintenant sur les points importants suivants en rapport avec la consigne proposée : 1151) Dimension temporelle, « l’ici et le maintenant » « entrer en relation par la production sonore, non verbale » différencie de faire de la musique ; cela impliquerait une première délimitation à l’intérieur du vécu sonore et l’improvisation dans l’ici et le maintenant donc une dimension temporelle qui est la place centrale. 1162) L’axe relationnel La manifestation spontanée dans la dimension intersubjectivité, celle de l’axe relationnel. La communication sonore n’est pas interprétable sans cet axe (LECOURT). 1173) Deux niveaux de fonctionnement, musico-verbal. Cet aspect, versant sensoriel de la communication pourrait rejoindre la phase préverbale qui est l’expérience fusionnelle (Nous). Tandis que la verbalisation suivant la production sonore/musicale durant laquelle le sujet exprime ce qu’il a vécu, ressenti, les évocations faites associées à cette expérience pourrait être une phase langagière, plus articulatoire et abstraite.(Je) Ainsi dans ce protocole expérimental de l’improvisation de la production sonore s’institue la structuration d’alternance de deux niveaux de fonctionnement, musico/sonore-verbal. (LECOURT) que j’ai citée dans le chapitre précédent. 1184) « fermer les yeux » l’isolation sensorielle Proposée comme consigne, sauf dans la toute première séquence, priverait du regard, comme vecteur important de communication non verbale. Cette situation délicate suscite parfois une certaine angoisse chez les participants mais également permet un approfondissement du travail d’élaboration de l’expérience sonore, notamment de la délimitation du vécu sonore tant individuel que groupal. 1195) Libre association Le travail de libre association tant dans la production sonore que dans la verbalisation qui lui fait suite, méthode pour s’exprimer spontanément sans discrimination, favoriserait l’ouverture de l’accès à une zone plus primaire et archaïque de l’histoire individuelle et groupale, notamment à partir des traces sensorielles réveillées ou évoquées par l’expérience sonore vécue. 120Le matériel utilisé concerne les divers instruments musicaux ou ceux qui produisent le son. J’ai aussi demandé une aide à propos du matériel à chaque organisateur de ces trois groupes pour réunir les instruments de type différent : mélodique, rythmique, harmonique dont les modalités sonores différentes des types à cordes, vents, percussions avec textures différentes ; bois, métal, peau. Dans deux groupes dont l’expérience se déroulait dans la salle privée, il y avait un grand instrument comme le piano, mais les instruments qu’ils ont réunis dans la plupart des cas étaient de petits instruments qu’on utilise dans une classe musicale à l’école maternelle ou des jouets pour bébé. 121J’ai précisé aussi aux organisateurs de groupe qu’il convenait que chaque membre puisse choisir au moins un instrument. Le détail de ces instruments de chaque groupe est indiqué dans le tableau 2 plus haut. 122La méthode de l’enregistrement est introduite dans ce protocole expérimental après beaucoup de réflexion (LECOURT) : « (…) L’avancement de ma réflexion sur le vécu sonore m’ayant permis d’entendre le désarroi de certains groupes face à la perte du produit sonore et l’impossibilité d’en garder une trace. Celle-ci s’explique par les difficultés mêmes de la structuration de l’espace sonore au début des séances. Mes craintes quant à la valeur, au sens pris par le feed-back fait au groupe de sa production, sont tombées devant le soulagement exprimé par ces groupes à retrouver quelque chose de cette expérience afin d’y prendre des repères mémorisables. Pour que l’analyse de cette angoisse de la perte soit réalisable il faut que cette angoisse ne soit pas trop envahissante, que le cadre assure la sécurité par sa qualité de contenant (psychique, mais physique à certains moments en particulier). Les productions sonores spontanées en groupe dépassent les possibilités de rétention, de mémorisation, d’analyse, autant des participants que des animateurs ». p. 40 123Sachant les limites de cet outil (modification éventuelle de la dynamique des timbres et des intenses), il pourrait être un repère puissant pour le groupe lui-même par lequel le groupe pourrait ré-évoquer certaines impressions et contextes de la production sonore dans l’ici et le maintenant. L’enregistrement désormais est devenu un outil indispensable pour le groupe pour le travail de l’analyse par la suite. 124La verbalisation suivie de la production sonore et celle après l’écoute de celle-ci est un objet d’analyse important. Suivant le conseil de Mme LECOURT, je les ai enregistrés afin de pouvoir transcrire en japonais puis traduire en français sans trop perdre les données. 125Les autres matériels que j’ai utilisés sont le magnétophone, les cassettes, le micro. Tout au début de l’expérience du groupe Akiruno, j’ai eu quelques incidents concernant le micro et la qualité de l’enregistrement des deux premières séquences n’était pas bon. 126Le déroulement des séances pour chaque groupe est le suivant : Dix minutes pour l’improvisation de la production sonore/musicale Suivies des verbalisations libres sur ce vécu sonore L’écoute de l’enregistrement de cette production sonore Verbalisation à partir de cette nouvelle écoute 127Pour chaque groupe, tout au début, avant la première séquence de la première session, j’ai présenté succinctement l’objectif de cette expérience en exprimant à tous mes remerciements de participer bénévolement à cette expérience et je les ai invités à se présenter les uns et les autres à la fin de la session afin de rendre compte de l’évolution du processus psychique groupal. 128J’ai expliqué également la nécessité de l’enregistrement de chaque production sonore et de chaque séquence de verbalisation. Je leur ai demandé aussi de remplir les questionnaires que j’avais préparés en vue d’avoir les informations sur les participants, leurs âges sous forme de tranche d’âge, le sexe, et le niveau de formation musicale. Puis, j’ai annoncé la consigne que j’ai citée plus haut. Au début de la première séquence, face au choix d’instrument, les participants de ces trois groupes manifestaient un peu leurs sentiments d’embarras – Qu’est ce qui se passe ? Que dois-je faire ? Je ne sais pas jouer de l’instrument, etc. Pourtant je leur avais expliqué qu’il ne s’agit pas de faire de la musique mais d’ « entrer en relation par l’intermédiaire de la production sonore ». D. Recueil des données 129Les données de cette série d’expérience sont essentiellement les cassettes enregistrées de la production sonore et la transcription de la verbalisation de trois groupes (voir l’annexe) s’y ajoutent les petits questionnaires dont j’ai parlé. III. Analyse des groupes de production sonore A. Les groupes japonais 130Je précise trois points communs aux trois groupes : premièrement à chaque séance, les participants ont changé d’instruments, deuxièmement j’ai proposé la production sonore avec les yeux fermés à partir de la deuxième séance et enfin en ce qui concerne l’environnement sonore, à toutes les séances, la salle était bien isolée, très calme. De ce fait, la délimitation de l’extérieur et de l’intérieur du groupe pour ces trois groupes me semble bien se créer dès le début par l’environnement. 1. Séances d’improvisation a. Le groupe Akiruno 131Je n’ai pas utilisé le micro pour les deux premières séances d’improvisation et donc, la qualité de ces enregistrements n’est pas bonne. 132Première séance. Elle débute par un rythme de façon discrète, de la clochette et du maracas, puis le petit clairon marque son existence et la guitare entre dans la communication sans mélodie. Sur le plan structural, on trouve trois parties : le son rythmique relativement calme de trois instruments( clochette, maracas, castagnettes) qui constituent le fond sonore du groupe et la guitare apparaît en solo, toujours en « glissando » enfin le petit clairon et le sifflet qui ponctuent de temps en temps leur communication un peu monotone, sans variation. Dans l’ensemble, la production sonore se manifeste par la difficulté pour chaque participant de se positionner face à la guitare qui joue toujours de façon « glissando » sans mélodie organisée. La communication sonore a été un peu désorientée jusqu’à la fin de la séance. 133Deuxième séance. J’ai proposé cette fois la communication sonore en fermant les yeux. À cette séance, la communication commence par l’introduction d’un coup de petit clairon, les percussions douces suivent, puis la guitare se joint au groupe, mais cette fois-ci, elle donne un peu d’accent rythmique. On entend un certain fond sonore rythmé qui apparaît progressivement : l’arrière son très bas mais bien rythmé. Cela semble bien encourager la communication du groupe. Le son métallique de la clochette se distingue de cet arrière-son rythmique. Ce tapis sonore encadre la communication du groupe dans lequel la guitare et le petit clairon arrivent à rentrer et à sortir librement et la clochette et les castagnettes également s’expriment bien, grâce à quoi le groupe assure la communication. À cette séance, on voit l’apparition d’une certaine dynamique groupale dans laquelle chaque instrument a pris sa place. La communication se termine avec une manifestation de plaisir. 134Troisième séance. Dans la présentation de l’expérience de la production sonore, tout au début, j’ai présenté les instruments que j’ai posés sur la table et j’ai également évoqué la possibilité d’utiliser la voix sauf la verbalisation qui est interdite pendant la production sonore. Dès le début, une femme commence à chanter, puis les autres participants chantent avec elle. Le groupe est devenu un groupe choral. Aussitôt une chanson terminée, quelqu’un en commence une autre et ainsi de suite jusqu’à la fin de la communication et ceci tout en s’accompagnant avec leurs instruments pour donner le rythme. Dans l’intervalle des chansons, la communication est assurée par la production sonore d’instruments. Autour des chansons bien rythmées, tous les membres du groupe sans exception interagissent de manière harmonieuse. La communication se fait par une série de chansons folkloriques ou des chansons japonaises: ‘nanonaha batake’ (Le champ de fleur de colza)‘koujou no tsuki’ (la lune sur le château dévasté) ‘haru’ (printemps) ‘haru no ogawa’ (rizière de printemps) ‘zuizui zuikkorobashi’ ‘usagi oishi’ (rattrape un lapin) ‘uguisu’ (rossignol) ‘antagata dokosa’ (vous êtes d’où) ‘hachi’ (abeille), etc. On peut dire que du point de vue de l’âge, ce groupe est homogène. Les participants ont tous vécu à la même époque et ils partagent leurs sentiments, leurs souvenirs d’enfants en chantant ces chansons enfantines qui véhiculent les valeurs de cette époque au Japon. 135Quatrième séance. Après avoir vécu à l’unisson de ce groupe à la troisième séance, les participants tentent la même orientation de la communication, c’est à dire ‘chanter’, mais cette fois-ci, ils débutent leur communication par des chansons d’adultes : Les chansons populaires qui les font revenir dans le passé, ‘furusato he kaeroukana’ (Vais-je rentrer mon pays natal ? ) ‘omatsuri wasshoi’ (alors fêtons-nous !) ‘yawara’ (le chemin doux) ‘seto no hanayome’ (la nouvelle mariée de Séto) ‘hahayo’ (oh la mère) ‘kawa no nagare no youni’ (comme le courant de la rivière) Vers la fin de la séance, il y a un moment d’arrêt de chanson, le groupe communique uniquement avec le rythme, puis pour terminer la séance, revient à la chanson d’enfant de nouveau, ‘mikan no hana’ (la fleur de clémentine). Le groupe finit la communication avec la dernière partie de la chanson ; ‘yasashii kaasan omoidasu’ ( je me rappelle bien du visage de ma mère qui était si gentille.) 136À partir de la troisième séance, les éléments culturels particuliers japonais apparaissent clairement. b. Le groupe Yokohama 137Première séance. Le groupe Yokohama démarre la communication avec la mélodie (piano) et les autres suivent en faisant un rythme à trois temps (une noire – une noire, deux croches – une noire deux croches – une noire – une noire). Le groupe tente d’emblée de faire de la musique dirigée par le piano. L’existence du piano sépare spontanément son rôle central des restes d’instruments (Instruments de percussion) Autour du rôle central du piano, on peut distinguer en gros cinq séquences par les différents morceaux joués par le piano Au cours de la première séquence, malgré que la mélodie jouée par le piano soit parfois décousue, les autres tentent de la suivre Cela donne une structure asymétrique de la production sonore groupale. À la différence de la première, à la deuxième séquence, un morceau de musique d’enfant est joué. Elle est simple et facile à suivre pour les autres. Cette mélodie permet de changer librement le tempo. Progressivement l’espace se crée dans lequel quelques variations se permettent de s’introduire. On remarque l’apparition d’une certaine prémisse de la création de jeu au sein du groupe. Au cours de la troisième et quatrième séquence, plusieurs mélodies sont désorientées et le groupe vit quelques mouvements un peu chaotiques. Puis la communication se termine par ‘joyeux anniversaire’. 138Deuxième séance. Les participants changent les instruments qu’ils ont choisis la première séance. Pour cette séance, j’ai proposé aux participants de fermer les yeux pendant la production sonore. La communication commence par l’introduction d’un duo pour boîtier graineux avec un bâton en bois et le piano, puis la clochette et les castagnettes s’y joignent. Le piano toujours dirige le groupe, mais cette fois-ci, avec une mélodie bien décousue, mais progressivement le déroulement de la communication change son mouvement par l’introduction de quelques tentatives inventives audacieuses en changeant le rythme radicalement. On voit aussi clairement le rapport dynamique du bruit du boîtier avec ceux du piano et de la clochette. Le groupe commence à se manifester clairement dans une sorte d’espace de jeu d’improvisation, un espace créatif. Ainsi à cette séance, le groupe sort de la production d’improvisation un peu routinière de la première séance et entre dans une phase d’inspiration. On y remarque une certaine émergence de la dynamique groupale caractérisée par la souplesse de ce groupe. 139Troisième séance. La communication commence par un duo de l’accord rythmique du ukulélé et de l’harmonica sous forme dialoguée. Durant cette séance, la communication est principalement organisée autour de ce duo, dans lequel on perçoit l’apparition de mouvement libre sur la base du mouvement de cohésion. La dynamique de groupe se crée progressivement dans ce mouvement d’équilibre entre le mouvement libre et le mouvement de cohésion. L’espace créativité est maintenant basé sur cette dynamique du groupe. Cet espace facilite à chacun la possibilité de prendre sa place et de s’exprimer ouvertement, ce qui est caractérisé notamment par la variation de la manière d’utiliser la clochette et les castagnettes ainsi que le boîtier. Ainsi dans ce jeu sonore, le plaisir s’exprime. On peut noter la manière remarquable de marquer la fin de leur communication sonore pendant cette séance qui me semble montrer son intensité du niveau de l’investissement affectif du groupe. 140Quatrième séance. Après l’improvisation musicale réalisée en troisième séance, le début de la suivante marque une certaine hésitation ou même une certaine angoisse du groupe et leur désir de créer une certaine nouveauté, un nouveau modèle musical spontané. Il résulte de ceci des moments cacophoniques. Peu à peu le mouvement de cohésion s’installe dans lequel chacun arrive à prendre l’initiative librement. Le sentiment de ‘On est capable de créer quelque chose ensemble’ commence à se véhiculer dans cette dynamique. Chaque fois qu’une personne change de rythme, les autres suivent automatiquement. Il y a des moments de mouvement de dialogue intéressant en trio entre harmonica, piano et ukulélé autours desquels, la clochette, les castagnettes et le boîtier se réunissent. C’est un véritable espace de jeu. Dans cette structure spatio-temporelle de l’improvisation musicale, il me semble que c’est comme si le groupe vivait une véritable vibration commune tout en laissant chacun s’exprimer librement. Là il y a un dynamisme de fonctionnement souple de ce groupe. c. Le groupe Fukuoka 141Première séance. La communication du groupe est d’emblée formée autour d’un leader (pianica) qui fait une mélodie bien rythmée très gaie. Ce leader (pianica) se retire et rentre dans la communication librement ce qui résulte d’une dynamique de groupe dans laquelle chacun prend sa place facilement. Cela crée plusieurs séquences très variées dans une structure bien encadrée: tout d’abord, celles d’un jeu sonore bien rythmé autour d’un solo de pianica, puis celles d’un tapis sonore rythmique créé par les castagnettes, triangle, clochette et woodblock et enfin des séquences de dialogues très intéressants entre le pianica et la flûte apparaissent à plusieurs reprises. Il semble que dès la première séance, l’introduction d’un mouvement de cohésion de ce groupe se fait. 142Deuxième séance. Cette fois-ci en l’absence du leader de la première séance, le groupe tombe dans un chaos qui se caractérise par un certain type de conflit entre le désir d’avoir une sensation assurée comme celle de la première séance et la peur de ne pas y arriver. Les membres du groupe attendent l’apparition d’un leader : soit de la flûte soit du piano parce qu’ils pourraient donner une mélodie relativement organisée. Le groupe rencontre certaine difficulté à communiquer. Parce que d’une part il y a deux flûtes, comme s’il y a deux leaders dans ce groupe et d’autre part, une de ces flûtes donne une mélodie un peu désorientée et le piano y ajoute. À cette séance, l’improvisation de la production sonore avec les yeux fermés, le groupe manifeste d’autant plus de sentiment non assuré. Malgré leurs difficultés, le groupe montre son dynamisme, tantôt par un moment de mouvement de cohésion, tantôt par un moment d’espace de jeu inspiré et finalement le groupe réussit à briser son état chaotique : vers la fin, encouragés par d’autres instruments, le dialogue dynamique entre le piano et les flûtes apparaît. La communication se termine par la maîtrise relative mélodique qui est renforcée par la place attribuée au piano. 143Troisième séance. Le groupe démarre en tâtonnant : dès que la flûte s’engage à prendre l’initiative en donnant une mélodie et quelques tentatives du piano pour assurer la communication, progressivement commence à se créer une structure avec le fond rythmique. Tantôt autour d’un duo entre la flûte et le piano, tantôt autour d’un trio entre la flûte, le pianica et piano toujours accompagnés bien sûr d’autres instruments, apparaît la dynamique de groupe. Dans ce cadre d’une dynamique groupale, peu à peu une sorte d’espace de jeu sonore, musical se crée où le plaisir s’exprime. Vers la fin de la séance, la communication se termine par les mélodies variées improvisées de manière successive. 144Quatrième séance. Il se manifeste la caractéristique sonore propre de ce groupe par un rythme semblable à celui des trois séances précédentes. Leurs séquences paraissent répétitives comme si le groupe cherchait le même type de plaisir comme le précédent. Mais en même temps il cherche à être différent des séances précédentes et il n’y parvient pas. 145C’est comme si c’était un passage d’une période de stagnation d’un groupe. 146La production sonore de cette séance paraît illustrer l’articulation entre la structure musicale et l’appareil psychique groupal de ce groupe. 2. Verbalisation 147À partir de la transcription de la verbalisation suivant chaque expérience et celle d’après l’écoute de leur propre production, qui se trouve dans l’annexe, voici en résumé, les éléments du vécu sonore dans la dimension groupale à chaque séance de chaque groupe : 148Ces verbalisations seront opérées à travers les cotations figurant dans le tableau ci-dessous : Séance Après l’improvisation Après l’écoute de l’enregistrement 1ère séance (1) (1A) 2ème séance (2) (2A) 3ème séance (3) (3A) 4ème séance (4) (4A) a. Le groupe Akiruno 149Effet d’ensemble (2) (3A) (exemple : séance d’improvisation 2 et après l’écoute de l’enregistrement de la 3ème séance) « ...C’est très amusant et agréable de se sentir à l’unisson ». Annexe p. 34 « Harmonieux ou non, on a l’impression que l’on est ensemble ». Annexe p. 34 « Quand nous chantons ainsi ensemble, nous pouvons créer naturellement le rythme en harmonie, n’est ce pas ? » Annexe p. 35 150Manifestation de plaisir (1) (2A) « ...Mais au fur et à mesure, on s’est bien amusé, n’est ce pas ? » Annexe p. 33 « Oui, c’est ça. Quand on crée son propre son, c’est amusant. Il est d’autant plus plaisant lorsqu’on essaie d’accorder le son avec celui des autres. Cela nous rend joyeux ». Annexe p. 34 151Evocation des temps anciens, de l’enfance (1) (3A) « …J’avais l’impression d’être retournée dans mon enfance ». Annexe p. 33 « La force de la musique nous permet de nous rappeler l’époque où nous l’avons l’écoutée.. » Annexe p. 35 152Elément vécu évoqué par l’association libre avec la production sonore (1) « Le son du petit clairon m’a rappelé celui de du petit clairon ‘pu-’ du vendeur du TOFU ambulant d’autrefois et a éveillé en moi d’émouvants souvenirs ». Annexe p. 33 153Manifestation de désir à se mettre à l’unisson malgré leurs difficultés (1) « …..C’était difficile, mais je me sens très joyeuse. Je ne sais pas si ce que je joue est en harmonie avec le reste ou pas, mais j’étais plein de joie. » Annexe p. 33 154Découverte de l’espace de jeu sonore (2A) « Cela doit être ce que l’on appelle la communication. Au-delà du fait que c’est bon ou mauvais, avoir une ambiance de l’ensemble rend l’effet de musicalité. » Annexe p. 34 155Evocation comme moyen thérapeutique (2A) (3) (4) « Chanter ainsi les chansons d’enfants en jouant les instruments nous permet d’activer les choses qui sont endormies. Je pense que cela en fin de compte pourrait avoir un but thérapeutique. » Annexe p. 35 b. Le groupe Yokohama 156Effet d’ensemble (3A) (4) « Je pense que l’effet de l’ensemble vient du fait de la concentration ». Annexe p. 39 « Ecouter l’enregistrement de l’effet d’ensemble que nous avons créé est très intéressant et cela m’a fait beaucoup de plaisir ». Annexe p. 40 157Manifestation du plaisir (4) « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si amusant ». Annexe p. 40 « …… Mais la nouvelle expérience que j’ai faite ici m’a fait comprendre que même si on n’est pas capable de bien jouer l’instrument, on peut se procurer un excellent plaisir ». Annexe p. 40 158Manifestation du désir d’harmoniser avec les autres (1) « J’ai joué des instruments de percussion simple sans faire de mélodie, mais en essayant d’harmoniser avec les autres, je me suis trouvée alors complètement dans le groupe ». Annexe p. 37 « J’ai pensé tout le temps à me mettre à l’unisson. J’ai eu un sentiment que peut-être nous pouvons faire quelque chose comme un orchestre ». Annexe p. 37 159Effet d’improvisation et découverte du plaisir dans l’espace de jeu sonore (4) « Ce que j’aime bien, c’est l’improvisation. À la différence de faire de la musique après répétition où il y a le sentiment de devoir à accomplir, dans le cas de l’improvisation, on joue de manière spontanée. De jouer ainsi ici et maintenant nous fait créer un sentiment de solidarité. » Annexe p. 39 « Même si ce n’est pas bien ordonné, quand on crée certain rythme, les autres vont bien le suivre. Là on trouve un effet de jeu ». Annexe p. 38 160Désir de suivre un leader (3) « Mais tout de même, on cherche quelqu’un qui dirige et à suivre. Il doit y avoir peut-être au fond en nous un désir de dépendance ». Annexe p. 38 161L’effet des yeux fermés (2) (4) « ….. avec les yeux fermés, je n’avais rien pensé, plongée dans ce monde sonore, isolée de tout le reste du monde ». Annexe p. 38 « ……. le fait de fermer les yeux me permet de communiquer avec les autres à fond tout en restant moi-même ». Annexe p. 38 « Dans l’improvisation avec les yeux fermés, on compte uniquement sur ses capacités auditives, on devient plus sensible à des variations et on devient aussi très rapide pour leur répondre. J’ai l’impression que puisqu’on ne réfléchit pas, on peut élargir le jeu. » Annexe p. 39 162Harmonie entre être avec soi-même (je) et être avec les autres (groupe) (4) « …On sent que chaque personne joue un rôle central et ces positions sans être marquées se sont bien coordonnées les unes avec les autres ». Annexe p. 39 c. Le groupe Fukuoka 163Effet d’ensemble (1) (1A)(4A) « On se met naturellement à l’unisson ». Annexe p. 41 « C’était bien en cohésion ». « Tous se mettent à l’unisson ». « C’était bien joyeux et gai ». Annexe p. 42 « Mais, en fin de compte, c’est quelque chose d’extraordinaire. Malgré qu’on s’est vu pour la première fois tout en admettant l’existence des autres, on essayait de se mettre à l’unisson ». Annexe p. 42 « C’était à l’unisson ». « Sans difficulté ». Annexe p. 44 « Comme si on était bien unis ! » Annexe p. 44 164Manifestation de plaisir (1) (A1) (3) (4) (A 4) « Je n’aurais jamais imaginé que cette expérience serait si amusante » Annexe p. 41 « Sans instrument sophistiqué, juste en tapant ainsi sur les instruments de percussion cela nous fait beaucoup de plaisir ». Annexe p. 43 165Evocation des temps anciens, de l’enfance (1A) « J’ai l’impression d’être retournée à mon enfance ». Annexe p. 42 « Mais cela me faisait rire comme à l’époque de l’enfance ». Annexe p. 42 166Manifestation d’angoisse en situation des yeux fermés (2) « Avec les yeux fermés, c’était différent et il y avait moins du plaisir ». Annexe p. 42 167Elément vécu évoqué par l’association libre avec la production sonore (1) « C’est comme si j’étais de ‘Chindonya‘ (musiciens en costumes voyants menant grand tapage dans la rue pour attirer des clients dans un magasin) ». Annexe p. 41 « Le son du woodblock ressemblait à un rythme que j’ai entendu quelque part comme accompagnement de la récitation du sutra.(rires) ». Annexe p. 41 168Manifestation du désir de se mettre à l’unisson malgré leurs difficultés (1) « J’ai pensé moi aussi me mettre à l’unisson avec les autres. Mais le son de mon instrument était tellement fort que ça m’était difficile ». Annexe p. 41 169Désir de suivre un leader (2A) (3) « Finalement, nous avons besoin d’un leader. (rires) Avec le leader, ce serait plus rassurant et plus amusant ». Annexe p. 43 170Effet évolutif (3A) « Ça devenait de plus en plus plaisant au fur et à meure ». Annexe p. 43 « À comparer avec les deux séances précédentes, Cela devenait une production musicale plus variée ». Annexe p. 43 3. Analyse de résultats pour chacun des groupes 171Bien que chaque groupe nippon dégage sa caractéristique propre des processus de la formation groupale dans les séances d’improvisation de la production sonore, je constate des effets communs à tous : premièrement l’effet d’enveloppe harmonique avec la tonalité gaie et affective d’une forte perception de l’harmonie qui résulte du désir à se mettre à l’unisson. Deuxièmement, l’effet d’un mouvement de transport dans le temps avec la musicalité d’enfant et enfin l’effet d’ensemble dans l’espace de jeu d’improvisation. a. Le groupe AKIRUNO 172Le groupe Akiruno composé de neuf personnes, 7 femmes et 2 hommes, tous âgés de plus de 40 ans, débute l’expérience avec un peu de tâtonnement et se déroule de manière très calme. Les paroles qui suivent l’expérience montrent le grand désir des participants à se mettre à l’unisson malgré leurs difficultés L’apparition du fond sonore rythmé à la deuxième séance qui encadre bien la communication sans laquelle la guitare, le petit clairon et les autres arrivent à s’exprimer librement pourrait être alors un signe du processus d’une dynamique groupale. Aussitôt qu’une femme commence à chanter dès le début de la troisième séance, la dynamique groupale renforce son fonctionnement : tous les participants la suivent et ce mouvement d’un groupe choral continue en variant les chansons les unes aux autres jusqu’à la fin de la séance, puis ce mouvement continue encore à la quatrième séance. 173L’évocation spontanée par l’association libre de telle ou telle chanson semble être en rapport avec des expressions musicales qui sont inscrites au plus profond dans le conscient ou l’inconscient chez les participants. Le fait que toutes les chansons rappelées soient entièrement partagées par tous les membres de ce groupe serait un signe d’étayage culturel, ce qui facilite l’expérience fusionnelle de ce groupe. La forme musicale du groupe-musique de ce groupe donne une intensité et une qualité affective particulière, un cadre contenant suffisant pour assurer à tous le plaisir attendu. b. Le groupe YOKOHAMA 174À la différence du groupe Akiruno qui se caractérise par son conformisme bien enjoué, le groupe Yokohama se caractérise par son originalité. Le début de l’expérience commence 175par l’utilisation de la structuration musicale comme expression symbolique. Elle semble être mobilisée par sa proximité avec les angoisses de groupe. Et au fur et à mesure, un espace de jeu sonore/musical naît dans lequel quelques variations s’introduisent. 176L’effet évolutif se manifeste clairement par ce jeu musical qui se déploie au sein du groupe de plus en plus avec des mouvements musicaux créatifs et des variations. Ce pôle créatif fortement apparu semble être une manifestation de l’expression de la souplesse de fonctionnement interne au groupe. Dans l’illusion groupale, la manifestation du plaisir et la satisfaction absolue des participants du groupe illustrée dans la verbalisation paraît comme s’ils libéraient leurs fantasmes sous-jacents par la symbolisation musicale. Dans cette articulation individu-groupe au sein de l’espace d’un libre jeu créatif, se trouve le pôle homomorphique lequel gère alors les relations de différences. c. Le groupe FUKUOKA 177Le groupe Fukuoka également démarre l’expérience avec l’emploi d’une structure musicale mais ce groupe manifeste d’emblée l’unisson clairement dirigé par un leader. Cet effet d’ensemble du premier coup réalise un contraste avec la séance suivante des yeux fermés à laquelle la production sonore manifeste clairement une certaine hésitation et une certaine angoisse ressentie d’une part par l’absence d’un leader et d’autre part par les yeux fermés, comme le montre la verbalisation. En se servant d’un point de repère constitué par un vécu de cet effet d’ensemble, progressivement le groupe se revitalise et entre dans le processus de dynamique groupale au sein duquel le pôle créatif apparaît. Cette apparition est forte à la troisième séance mais dans l’ensemble diminue à la dernière séance et la production sonore reste dans la répétition du même rythme, mise en résonance dans la même harmonie que les séances précédentes. 178Ce groupe se dégage de sa caractéristique répétitive ce qui semble un signe de la tendance du groupe-musique ayant un pôle musical isomorphique. 179Les effets communs aux trois groupes rendent possible, grâce aux éléments apparus dans la verbalisation le désir de s’harmoniser avec les autres et celui de suivre un leader. Ce sont les caractéristiques essentielles des japonais qui découlent d’un modèle relationnel typique japonais d’Amaé. 180L’évocation des temps anciens, de l’enfance(partage des symboles véhiculés au sein du groupe) renvoie fortement à l’imago maternelle japonaise qui accélère l’affectivité dans la relation groupale. Et enfin l’effet d’ensemble dans l’espace de jeu d’improvisation semble une forme d’illusion groupale particulière nipponne, à la fois marquée par son aspect fusionnel et en même temps par l’articulation libre individu/groupe. B. Les groupes français 181Dans les expériences d’improvisation sonore/musicale des groupes français qui se trouvent dans l’ouvrage, intitulé, « Analyse de groupe et musicothérapie » de E. LECOURT, je relèverai ici quelques points susceptibles d’être comparés avec celles des groupes nippons. 182Premièrement un certain aspect résistant par rapport à la communication groupale : on trouve dans un groupe d’étudiants une certaine tonalité hypocondriaque du groupe : « la prise de conscience de dissonances, qui sont vécues comme insupportables » (mauvais objet), rappel de la plainte – toujours présente au groupe, sous la forme hypocondriaque » p. 54. Mais toutefois, il a été observé au cours des séances qu’il y a toujours quelqu’un pour positiver la production ou la réaction du groupe et que ce groupe se perçoit comme un groupe « sans conflit manifeste ». 183Deuxièmement les fonctions différentes attachées à l’expression verbale et à l’expression sonore et musicale : la parole répétitive exprime la plainte psychosomatique tandis que la production sonore/musicale signifie une construction symbolique du corps groupal. 184Troisièmement une certaine manifestation de l’angoisse liée aux problématiques des limites sonores du groupe causées par des facteurs extérieurs au groupe tels que les bruits à l’extérieur du cadre (les bruits du couloir) ou bien les problématiques causées par le changement du cadre dans l’intervalle des séances. Toutes ces problématiques impliquent directement ou indirectement les résultats de ces expériences. 185Et enfin l’aspect évolutif du processus dynamique groupal qui apparaît dans les expériences d’improvisation sonore/musicale : l’effet d’ensemble apparaît relativement dès les premières séances et vers la fin. Le « groupe-musique » apparaît vers les quatrième et sixième séances. C. L’analyse comparative entre les groupes japonais et français 186Plainte/aucune résistance À l’opposé de ce phénomène entièrement positif des groupes japonais face à l’expérience de la production sonore groupale qui illustre bien la résistance très faible chez les Japonais, dans l’analyse sur l’expérience réalisée pour les groupes français (E. LECOURT), on trouve certaines manifestations de plaintes. En effet, dans les résultats de l’expérience que j’ai réalisée au Japon, l’expression sonore/musicale des groupes de Japonais ainsi que leur verbalisation montrent clairement la présence de plaisir, de joie sans manifestation d’aucune plainte, d’aucune résistance. Cette caractéristique s’explique d’une part, la situation de l’improvisation de la production sonore/musicale permet aux participants du groupe d’offrir une intense expérience par ‘groupe-musique originaire’ (E. LECOURT) permettant de retrouver un ‘lien original’ (M PAGES) et que d’autre part, probablement l’existence des incorporats culturels, plus particulièrement la relation de dépendance réciproque d’Amae, active d’autant plus fortement chez les participants ce ‘lien original‘ qui est selon PAGES une dépendance archaïque, tendant vers la reconquête inconsciente d’un bon sein. 187L’expression sonore/expression verbale Dans le cas de l’expérience japonaise, aucune remarque n’est faite sur les fonctions différentes entre l’expression verbale et l’expression sonore. L’expression de ces deux phases me semble presque identique, alors que dans certains groups français, on trouve un écart. 188Les effets évolutifs : les points communs En ce qui concerne le développement des processus groupal et musical, je remarque plusieurs points communs entre l’expérience des groupes français et celle des groupes japonais : l’effet d’ensemble avec les jeux qui donnent lieu à différentes formes musicales, le plaisir de maîtrise instrumentale, l’évolution (l’élaboration au sein du groupe d’un espace sonore), puis d’une structuration musicale marquée des caractéristiques de l’illusion groupale, ce qui illustre bien la nature universelle de ce phénomène de l’unisson. 189Cet unisson qui exprime symboliquement, projection et symbolisation de l’appareil groupal du groupe avec l’émergence du ‘groupe-musique’ développé par E. LECOURT correspondant à une intensité et à une qualité affective particulière, aboutit à un juste dosage de l’excitation du groupe, c’est-à-dire suffisamment contenue pour assurer à tous le plaisir attendu. « C’est encore l’association d’un dosage dans le groupe de l’excitation sonore, d’une qualité affective, et d’une représentation, la coïncidence de cet ensemble (sur les plans affectif et cognitif), qui se trouve à l’origine de la reconnaissance du produit sonore du groupe comme étant ‘musical ‘« p. 79 190Les effets évolutifs : la différence Chaque groupe joue selon son rythme propre, de sa création à la réalisation d’une production musicale commune dans sa propre temporalité. Le rythme interne au groupe est une variable. Chaque groupe montre différentes phases. Par exemple, le groupe Fukuoka expérimente la phase de la cohésion musicale dès la première séance, puis la phase type dépressif, exprimée par des difficultés à retrouver le plaisir passé, puis l’effet d’ensemble de nouveau et enfin la phase de la création musicale. Je remarque tout de même des points communs pour ces trois groupes: l’émergence de manière stable du ‘groupe-musique’. 191Cette évolution de la structuration musicale de ces groupes japonais me semble plus considérable que celle des expériences décrites pour les groupes de Français. On pourrait dire que la prégnance d’un modèle musical, notamment du chœur (groupe Akiruno) et d’autres éléments d’organisateur psychique groupal socioculturel contribuent à accélérer le processus du ‘groupe-musique’. Dans l’expression verbale, les participants évoquent souvent les temps anciens, de l’enfance : ‘j’ai l’impression d’être retournée à mon enfance’. Le mécanisme de déplacement et condensation permet de les transporter dans l’enfance – l’expérience vécue partagée de la période d’éducation musicale avec des petits instruments pratiquée largement depuis et toujours dans l’école maternelle et primaire au Japon. IV. Synthèse et discussion 192Dans les effets communs mentionnés dans l’analyse des résultats, on trouve les résultats attendus tels que la présence de l’effet d’enveloppe harmonique-effet d’ensemble de gaîté dès les premières expériences, l’effet évolutif très fort du processus dynamique groupal. 193Une certaine facilité de la communication trouvée dans l’expérience sonore japonaise semble bien illustrer l’effet du contexte de la relation de dépendance réciproque d’amaequi unit et assure la cohésion entre les membres du groupe. Un mode de relation particulière d’amae semble donc un des facteurs organisateur psychique inconscient chez les Nippons, responsable de la formation dynamique groupale. 194Quelques réflexions sur l’articulation entre les résultats et des éléments théoriques. Amaé évoque des sentiments d’intimité et de dépendance qui sont un reflet de l’affection d’un petit enfant pour sa mère. On pourrait dire que la personnalité de l’individu doit être ancrée dans cette relation de dépendance réciproque qui permet aux membres d’un groupe de se lier facilement. Par le fait d’improvisation sonore/musicale permettant d’évoquer facilement le temps de l’enfance, l’imago maternelle semble surgir chez les sujets nippons, ce qui paraît accentuer l’amae évoquant des sentiments d’intimité et de dépendance qui sont un reflet de l’affection d’un petit enfant pour sa mère. 195Il se manifeste d’autant plus puissamment dans le cadre de l’improvisation de la production sonore/musique introduisant la dimension subjective et affective qui est liée à l’instant au corps et à l’immédiateté. L’effet d’ensemble trouvé dans les expériences japonaises renvoie en quelque sorte à la notion de « la mentalité de groupe » de BION, car c’est une expression unanime de la volonté, à laquelle l’individu contribue de façon inconsciente comme je l’ai relaté dans les chapitres précédents. Les émotions puissantes trouvées aussi dans les expériences des groupes de Japonais comme l’explique Bion, sont des mécanismes inconscients plus primitifs qui prennent la place, ce qui rend plus facile la fusion avec un groupe donné. Cela se réfère aussi à ce que Missenard remarque : l’origine de la résonance fantasmatique se trouve dans la relation archaÏque, la relation dyade symbiotique mère-enfant. 196Les caractéristiques fusionnelles représentées par la relation de dépendance réciproque d’Amaé vont à l’opposé de l’individualisme des Français pour lesquels l’idée qu’on puisse être considéré simplement comme un rouage de la machine et non comme un être unique est intolérable. De manière générale, pour un Français donc, s’identifier trop fortement à un groupe correspond à une perte d’identité. D’où la manifestation de la résistance au groupe qui illustre la notion de « culture de groupe » absente des trois groupes japonais. 197R. KAES souligne dans sa théorie de l’appareil psychique groupal, l’aspect relationnel entre appareil groupal et appareil individuel en mettant en évidence l’existence d’un conflit entre la tendance à réaliser l’identité groupale qui se dirige vers la tendance à l’isomorphie et celle qui réalise l’identité individuelle qui va vers l’homomorphie. Parmi les facteurs d’organisateurs psychiques inconscients du groupe que D. ANZIEU dégage dans son ouvrage, il souligne le rôle d’imago qui fonctionne comme organisateur tendant à assurer au groupe un état d’équilibre entre la tendance à l’isomorphie et celle de l’homomorphie. 198Le modèle de la relation de la dépendance réciproque d’Amaé chez les Japonais sollicite à leur insu l’imago maternel idéalisé( bon objet) au premier plan dans la culture japonaise, semble aussi comme décrit J.-C. ROUCHY, au plan groupal, une base commune partagée, un étayage culturel qui va procéder à l’individuation. Ceci permet d’effectuer facilement l’élargissement du groupe d’appartenance primaire jusqu’aux groupes secondaires qui complètent l’intériorisation culturelle, la socialisation et l’intériorisation de normes et de valeurs, tout en maintenant ce modèle de lien relationnel que constituent l’existence d’un lien dynamique entre processus primaire et secondaire et les possibilités de reproduction et de déplacement dans le groupe secondaire, de mécanisme appartenant au groupe primaire. 199Ainsi un système de représentation construit chez les Japonais sur cette base culturelle, notamment sur la détermination des limites du Moi et du non-Moi, de l’intérieur et de l’extérieur et entre l’individu et le groupe serait forcément différent de celui construit chez les Français. Par exemple la manière particulière de la distinction entre l’intérieur et l’extérieur gérée par des conduites d’enryo déjà citée dans le chapitre précédent. 200De ce fait, on pourrait expliquer la présence très faible de la manifestation d’un aspect conflictuel – la culture de groupe (BION) et on pourrait dire aussi que l’appareil psychique groupal chez les Japonais fonctionne convenablement en maintenant l’équilibre entre les deux tendances isomorphique/homomorphique, comme un effet positif : le groupe présente un espace transitionnel avec des images identificatoires favorisant la structuration du Moi (ROUCHY), mais en même temps cela induirait l’annulation d’un paradoxe : devenir différent dans sa dimension groupale. 201Je souligne également l’aspect créatif de l’effet d’ensemble de la production musicale improvisée notamment celle des groupes Yokohama et Fukuoka. Cet espace du jeu sonore avec les différentes variations dans une dynamique groupale qu’ils ont créé est un signe de la souplesse du fonctionnement interne au groupe. La création du ‘groupe-musique’ comme la création d’un objet signe également l’ouverture vers l’extérieur tout en marquant leur propre existence, au pôle homomorphique. Ne pourrait-on pas dire que cet effet aussi résulte du fonctionnement de l’appareil psychique groupal de manière équilibrée. 202Quelques remarques Plusieurs expériences d’improvisation de la production sonore/musicale réalisées en France manifestent la problématique des limites sonores du groupe comme je l’ai relevé plus haut, alors que dans l’expérience des trois groupes nippons, l’encadrement de la délimitation sonore intérieur/extérieur au groupe ne présente aucune problématique qui induirait l’impact psychologique des participants. Dans ce sens, il ne me semble pas tout à fait convenable de comparer les résultats des deux populations. 203De plus, ayant une contrainte de mon calendrier, le nombre de séances dans l’expérience du Japon est réduit de presque un tiers par rapport à celles menées en France. De surcroît, l’enregistrement des cassettes de la cinquième séance n’est pas effectué pour ces trois groupes à cause d’un problème technique. Par conséquent, la cinquième séance ne peut être l’objet d’analyse. Du point de vue de l’aspect évolutif du processus de la formation groupale et d’une dynamique groupale, cette situation n’est donc pas pleinement appropriée à l’étude comparative entre les groupes nippons et les groupes français. 204Toutefois, la comparaison de la qualité de l’improvisation de la production sonore/musicale et son évolution à partir de la première séance jusqu’à la quatrième séance pourrait être l’objet de l’analyse de comparaison entre les groupes de deux cultures complètement différentes, française et japonaise. Bien entendu, ces analyses de comparaison deviendraient complètes si l’on pouvait réunir des conditions d’expérience presque identiques, du point de vue du nombre de séances et de l’encadrement. 205Une remarque à propos de la composition du groupe : le nombre de personnes, la proportion de femmes et d’hommes, l’âge différent pourrait contribuer à l’effet caractéristique qui se dégage dans le groupe. La richesse des groupes résulte de leurs diversités et leurs différentes caractéristiques sensorielles, leur niveau d’investissement, la gestion psychique, les phases de sa structuration du groupe-musique. Par exemple, la caractéristique homogène que présente le groupe Akiruno montre l’effet de l’homogénéité d’âge de ce groupe grâce auquel les participants arrivent à partager le modèle musique dans une dimension culturelle qui permet de susciter une émotion intense et de créer l’illusion groupale (D. ANZIEU), expression d’un vécu fusionnel, la dimension individuelle se dilue une matrice groupale indifférenciée. Un autre exemple, la caractéristique non-conformiste du groupe Yokohama semble une présentation métaphorique de la dispersion d’âge (entre 28 et 83) en petit nombre (6). 206Ainsi en variant, de manière combinée, la nature de composition du groupe, on pourrait obtenir les résultats intéressants qui dégageraient la forme différente du processus de la formation groupale d’une façon diversifiée. De ce fait, la méthode de l’improvisation de la production sonore/musicale groupale comme outil est tout à fait approprié et ce quel que soit le type de groupe : elle a une caractéristique libre qui accompagne la non-éducation musicale (au sens conservatoire, école de musique). 207Je citerai ici un témoignage : « J’ai eu très peu de formation musicale et donc je ne comprends pas grand chose à la musique. Mais si on peut faire ça, cela me donne l’espoir de faire de la musique et cela me donne confiance ». 208Un autre témoignage « J’avais une idée préconçue sur le fait de jouer de la musique : on ne peut faire de la musique que lorsqu’on est capable de jouer certains instruments. Faire de la musique est certainement un plaisir agréable mais de toute façon ce n’est pas pour moi, parce que je ne peux jouer aucun instrument. Mais la nouvelle expérience que j’ai faite ici m’a fait comprendre que même si on n’est pas capable de bien jouer l’instrument, on peut se procurer un excellent plaisir ». Cf. Annexe. « On était complètement libre sans se prendre la tête avec la partition. On pouvait s’amuser juste en communiquant avec le son. C’est bien cela le point original ». Cf. Annexe. 209Je ne mentionnerai pas ici l’aspect évaluatif de la musicothérapie de l’improvisation de la production sonore /musicale groupale, vu que cela n’est pas au cœur du sujet de ma recherche. Simplement je remarque la présence de plusieurs évocations d’effet thérapeutique dans l’expression verbale de l’expérience au Japon. 210Je dois noter ici qu’un certain aspect de mon intervention étant motivée par la recherche universitaire sur la psychologie particulière japonaise face au groupe. Tout d’abord, je suis japonaise, vivant en France depuis la deuxième moitié de ma vie. Je porte un vif intérêt à l’aspect différentiel de la structure psychologique groupale de l’individu. On ne peut pas nier que l’aspect de mon implication sur cette recherche pourrait certes inférer un certain biais sur l’analyse que j’entreprends. Mais en même temps, une certaine sensibilité relationnelle nuancée existant dans le fonctionnement psychique groupal particulier à la culture japonaise à laquelle j’appartiens qui pourrait contribuer probablement à l’étude de mes analyses dans cette recherche. Conclusion 211Les résultats obtenus dans cette recherche vont plutôt dans le sens de mon hypothèse : un phénomène d’un mode relationnel typique japonais d’Amaé s’opère dans le processus dynamique de la formation groupale et se manifeste comme l’effet évolutif de l’illusion groupale (D. ANZIEU) – de la structuration du ‘groupe-musique’ (E. LECOURT). Les éléments d’incorporats culturels (ROUCHY), de manière générale, manifestent clairement dans l’expression sonore/musicale ainsi que dans l’expression verbale des groupes de Japonais et permettent d’accélérer cet effet. Ces résultats illustrent bien l’effet de l’improvisation musicale en groupe capable d’offrir une référence culturelle, suffisamment partagée, suffisamment proche et parfois éloignée à la fois, des expériences individuelles des participants, rendant possible ainsi la formation d’un groupe, d’un travail d’élaboration psychique et corporelle face à l’angoisse. 212Ce qui m’a beaucoup frappée au cours de cette expérience en tant qu’observateur de la recherche, c’est le plaisir intense hautement partagé entre tous les participants. J’attribue cet effet à la réussite du travail d’élaboration psychique et corporelle face à l’angoisse. Dans ce sens, l’expérience de cette recherche m’a donné une occasion très riche de connaître la sensibilisation de la musicothérapie par cette modalité de l’improvisation de la production sonore/musicale. 213Il serait intéressant de renouveler l’étude comparative, sous l’angle interculturelle, mais cette fois entre les groupes de Japonais vivant en France et les groupes de Français vivant au Japon. Bibliographie ANZIEU. D., 1985, Le Moi-peau, Paris, Dunod ANZIEU. D., 1999, Le Groupe et l’inconscient, Paris, Dunod, 3e Ed BAUDIER A., CELESTE B, Le développement affectif et social du jeune enfant BENEDICT. R., 1987, Le Chrysanthème et le Sabre, Picquier BION W.R., 1965, Recherches sur les petits groupes, Paris, PUF BION W.R., 1979, Eléments de psychanalyse, Paris PUF BLEGER. 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Pour citer cet article Michiko Takamura, « Étude comparative de la communication sonore groupale », paru dans Revue française de musicothérapie, Volume XXVIII/2, , mis en ligne le 23 juin 2010, URL : http://revel.unice.fr/rmusicotherapie/index.html?id=3158. Auteurs Michiko Takamura